Dépression durant la grossesse
Publié dans : Santé mentale et maternité
06 juin 2024
La dépression périnatale est sous-diagnostiquée. Le risque majeur est le passage à l’acte suicidaire. Comment la diagnostiquer et accompagner les patients ?
La dépression périnatale est sous-diagnostiquée par :
- banalisation : symptômes « classiques » de la période périnatale (asthénie, troubles du sommeil...) ;
- culpabilité et peur de la stigmatisation ;
- manque d’information des femmes, de leur entourage, des soignants.
Le risque majeur est le passage à l’acte suicidaire.
L’expression de la dépression présente des points communs avec la dépression hors périnatalité (espace médecin) mais elle présente aussi des particularités (voir plus loin).
En prénatal, les 7 consultations programmées du 3e au 9e mois, auxquelles s’ajoute à partir du 4e mois l’entretien prénatal précoce (EPP) sont des occasions de faire de la psychoéducation : rappeler les mesures hygiénodiététiques (voir plus loin) à visée préventive, expliquer à la femme et à son partenaire les signes de dépression périnatale pour autodépistage et rechercher des facteurs de risque de développement de dépression.
Les visites de suivi postnatal (sage-femme en PMI ou en libéral, jusqu’au 12e jour du bébé), l’entretien postnatal précoce (EPNP) entre la 4e et la 8e semaine après l’accouchement), la consultation postnatale (6 à 8 semaines après l’accouchement) sont des moments privilégiés pour rechercher les symptômes de la dépression du post-partum.
Voici quelques éléments pour vous accompagner dans la prise en charge de vos patients.
Les facteurs de risque de dépression à rechercher dès le début de la grossesse notamment lors de l’entretien prénatalprécoce (EPP) sont les suivants :
- antécédents psychiatriques : troubles anxieux et dépression personnels ou familiaux, périnataux ou pas ;
- facteurs psychosociaux : isolement/manque de support familial ; précarité sociale, traumatismes (infantiles, conjugaux, en cours de grossesse) ; événements de vie stressants durant la grossesse ;
- facteurs obstétricaux : grossesse non désirée, primarité, complications obstétricales lors d’une grossesse antérieure ou lors de la grossesse en cours, âge maternel aux extrêmes de la période de fertilité ;
- facteurs médicaux : HTA, obésité.
Cet entretien est également l’occasion d’expliquer à la patiente et à son partenaire les signes évocateurs de la dépression.
La dépression périnatale associe comme pour la période non périnatale plusieurs symptômes présents presque tous les jours pendant au moins 2 semaines :
- tristesse intense et inexpliquée,
- perte d’envie ou de plaisir (anhédonie),
- modifications de l’appétit,
- asthénie,
- repli sur soi, isolement,
- difficultés de concentration, de prise de décision,
- troubles du sommeil, trouble de l’appétit,
- croyances négatives avec un sentiment de culpabilité, d’inutilité,
- idées noires voire suicidaires.
Les particularités de la dépression dans le cadre de la périnatalité sont :
- pour les symptômes émotionnels : importante anxiété associée,
- pour les symptômes physiques : importance des douleurs physiques associées et exprimées (céphalées, lombalgies, douleurs abdominales),
- pour les symptômes cognitifs : importance des ruminations (pensées répétitives négatives),
- perte d’intérêt pour le nourrisson ou inquiétude excessive,
- dépréciation de ses compétences maternelles,
- association de phobie d’impulsion (peur irrationnelle de commettre des actes violents ou irrémédiables, classiquement centré sur l’enfant).
Ce qui doit alerter, c’est l’intensité, la sévérité, la durée (tous les jours pendant plus de 15 jours) des manifestations ; ce qui la différencie du baby blues.
La sage-femme doit être attentive aux formes atypiques, la patiente pouvant se retrancher derrière le « j’ai tout pour être heureuse ».
L’autoquestionnaire Edinburgh postnatal depression scale (EPDS) peut vous aider pour le dépistage de la dépression.
Il est rapide (10 questions), validé, bien accepté par les patientes et interroge la patiente : « Comment s’est-elle sentie durant les 7 derniers jours, pas seulement le jour du questionnaire », etc.
Un score supérieur à 12 pour la version française permet une sensibilité de 81 % et une spécificité de 96 %.
Quel que soit le résultat du questionnaire, en cas de doute, de discordance entre l’impression clinique et les résultats de l’autoquestionnaire, il convient d’adresser la patiente à un médecin ou un psychiatre pour confirmation diagnostique.
Le risque suicidaire doit être évalué sur 3 axes : Risques – Urgence - Dangerosité (RUD) :
Facteurs de Risques |
Individuels/ personnels |
Antécédents suicidaires personnels |
---|---|---|
Santé mentale : diagnostic de trouble mental (troubles affectifs, troubles de la personnalité, psychose), abus ou dépendance à l’alcool ou aux drogues | ||
Difficultés dans le développement : difficultés personnelles et sociales au cours de l’enfance et de l’adolescence | ||
Estime de soi : faible ou fortement ébranlée | ||
Tempérament et style cognitif : présence de comportements agressifs, impulsivité, rigidité de la pensée, difficultés à résoudre un problème et trouver des solutions | ||
Santé physique : problèmes de santé physique qui affectent la qualité de vie | ||
Facteurs familiaux : antécédents de violence ou abus subis (physique ou sexuel), pertes et abandons précoces, négligence des parents, toxicomanie ou alcoolisme des parents, trouble mental des parents | ||
Événements de vie : élément déclencheur : élément récent qui amène la personne en état de crise |
Situation économique : pauvreté économique | |
Isolement social : le réseau social est inexistant ou pauvre | ||
Séparation ou perte récente qui affecte encore le patient | ||
Difficultés dans le développement : difficultés scolaires ou professionnelles, placement durant l’enfance/adolescence | ||
Contagion suite à un suicide : la personne est affectée par un suicide récent | ||
Difficultés avec la loi (infractions, délits) | ||
Pertes, échecs ou événements humiliants | ||
Urgence | Passage à l’acte imminent et planifié : dans les heures ou jours qui viennent, a pris des dispositions en vue d'un passage à l'acte, a communiqué intention à un tiers | |
Scénario élaboré (comment, où) | ||
N'envisage pas d'alternative au suicide | ||
Danger | Accessibilité du moyen létal envisagé | |
Létalité élevé du moyen envisagé |
Il est possible en tant que professionnel de santé de contacter le 3114 numéro national de prévention du suicide (24h/24, 7j/7) pour un avis spécialisé pour une de ses patientes. Les réponses sont assurées par des professionnels spécifiquement formés (infirmiers ou psychologues). En savoir plus sur le site https://3114.fr/.
En cas de risque vital, il convient d’appeler le 15.
Une fois le diagnostic suspecté, une confirmation par un médecin est nécessaire.
S’il existe un risque suicidaire, il faut adresser sans attendre sa patiente à un centre d’urgence psychiatrique.
- Pour la mère :
- risque suicidaire : le suicide est la première cause de mortalité maternelle ;
- risque de récurrence de 50 % ;
- évolution vers un trouble bipolaire.
- Pour la grossesse :
- moindre suivi de grossesse ;
- risque augmenté de fausse couche spontanée ;
- complications obstétricales ;
- prématurité et hypotrophie.
- Pour le bébé :
- trouble des interactions précoces ;
- troubles du développement (social, cognitif, émotionnel) ;
- troubles psychiatriques à l’adolescence et âge adulte.
Les mesures hygiénodiététiques suivantes sont conseillées tant en préventif qu’en curatif :
- préservation du sommeil : les troubles du sommeil durant la grossesse gagnent à faire l’objet d’une évaluation spécifique (avec l’agenda du sommeil par exemple téléchargeable sur le site reseau-morphee.fr) pour permettre de caractériser les troubles et de proposer des mesures hygiénodiététiques en première intention avant de prescrire toute molécule ;
- implication du partenaire ou d’un proche pour la gestion des nuits après l’accouchement ;
- lutte contre l’isolement ;
- bon équilibre alimentaire et zéro alcool (espace assuré) ;
- zéro tabac ;
- pratique régulière d’une activité physique adaptée (espace assuré).
La psychothérapie est recommandée, quelle que soit la sévérité de l’épisode dépressif caractérisé. Elle peut être la seule prise en charge dans les épisodes dépressifs caractérisés légers à modérés ou être associée à un médicament antidépresseur dans les formes plus graves de dépression qui sera mis en place par un médecin.
Depuis avril 2022, les patients en souffrance psychique d’intensité légère à modérée peuvent bénéficier du dispositif Mon soutien psy avec des séances auprès d’un psychologue conventionné. Ces séances sont remboursées par l’Assurance Maladie.
En accord avec la patiente, vous pouvez lui proposer de suivre des séances d’accompagnement psychologique (12 au maximum) avec un psychologue conventionné. Télécharger le courrier d’adressage (PDF) (en cours d’élaboration pour les sages-femmes).
Consulter l’annuaire des psychologues conventionnés sur monsoutienpsy.ameli.fr.
En savoir plus sur Mon soutien psy.
Le recours à des psychologues peut également se faire en libéral, annuaires nationaux disponibles sur sante.fr ou au sein de PMI, annuaire PMI accessible sur allopmi.fr.
En pratique, si la dépression est suspectée, il faut parallèlement à la mise en place de la psychothérapie, adresser la patiente à un médecin pour confirmer le diagnostic, évaluer la gravité et déterminer l’indication d’un traitement médicamenteux complémentaire.
Les coordonnées de médecins généralistes ou psychiatres en libéral ou au sein de centre médicopsychologique (CMP) sont disponibles sur sante.fr.
Vous pouvez consulter les professionnels et offres de soins près de chez vous, pour cela vous pouvez vous reporter à la rubrique « Près de chez vous ».
Il est important d’attirer l’attention du médecin sur la grossesse ou l’allaitement en cours pour une adaptation optimale du traitement.
Cet article fait partie du dossier : Santé mentale et maternité