Accueil de l’adolescent en médecine générale
L'essentiel

Les adolescents ont des idées ou des conduites exploratoires, dont ils abusent parfois, en sous-estimant les risques. Ils s’interrogent mais se confient difficilement. Pour eux le médecin ne s’occupe que du corps. Leurs motifs sont, la plupart du temps, somatiques ou administratifs.
Le médecin s’interroge bien souvent sur la normalité des idées ou des conduites, craint d’être intrusif, incompétent et de perdre son temps. Il lui revient pourtant de repérer ce que cachent ou révèlent les adolescents et peut s’appuyer pour cela sur de récentes recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) (1).
Les adolescents repèrent vite le médecin prêt à les écouter. Mais ils attendent qu’il leur garantisse la confidentialité, ne les juge pas et leur pose les bonnes questions.
Comprendre et identifier la face cachée de l’adolescent
L’adolescence est caractérisée par un cerveau en maturation, qui se cherche. À l’adolescence, l’élagage neuronal et les décalages de maturation des secteurs cérébraux modifient les représentations et les comportements : les émotions dominent la gestion des pulsions. L’adolescent vit des orages physiologiques complexes où les mots ne trouvent pas leur chemin. Il est plus sensible aux récompenses mais peine à leur trouver du sens.

Référence : Steinberg L. A Social Neuroscience Perspective on Adolescent Risk-Taking. Dev Rev. 2008 Mar;28(1):78-106
Les adolescents ont parfois des conduites à risque et la prise en charge doit en tenir compte. Ces conduites à risque ont chacune des fonctions différentes :
- ressembler : partager la convivialité par mimétisme ;
- jouir : expérimenter le plaisir, transgresser ;
- assurer : s’adapter, apaiser, soulager, contrôler, alerter ;
- fuir : être ailleurs, délirer, s’écraser, disparaître.
Chiffres repères
Les filles de 15 à 19 ans : le taux d’hospitalisation pour tentative de suicide montre un pic important chez les jeunes filles de 15 à 19 ans. Il était de 41 pour 10 000 habitants en 2017 (contre 15,1 pour 10 000 tous âges et sexes confondus) (2).
Tabac/cannabis : bien que la consommation de tabac et de cannabis soit en baisse chez les jeunes, 25 % des jeunes de 17 ans fument du tabac quotidiennement et 25 % des consommateurs de cannabis présentent un usage problématique (3).
Biture express : en 2017, 44 % des jeunes de 17 ans déclaraient avoir eu un comportement d’alcoolisation ponctuelle importante au cours du dernier mois et 16 % plus de 3 fois dans le mois (3), ce qui peut avoir de graves conséquences immédiates en termes de comportement à risque (coma éthylique, actes sexuels non consentis, sécurité routière, etc.). De plus, la répétition triple le risque ultérieur d’addiction à l’alcool.
Grossesses non désirées : malgré un accès à la contraception anonyme et gratuit chez les 15-17 ans, les grossesses non désirées, avec un taux de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) élevé, ne cessent d’augmenter depuis 1990 (tous les âges confondus) (4). Chaque année, environ 11 000 mineures ont recours à l’IVG.
Repérer les signes de souffrance
Outils et conseils pour ouvrir le dialogue et questionner l’adolescent
- L’accueil : il est important d’éveiller une possibilité d’expression en ouvrant le dialogue, après l’exposé du motif par le jeune patient, avec une interrogation du type : « Et à part ça ? ».
- Les conditions de la confiance : les adolescents repèrent vite le médecin prêt à les écouter mais ils attendent 3 conditions : qu’il leur garantisse la confidentialité, qu’il ne les juge pas et qu’il leur pose les bonnes questions.
- Le BITS : un outil de repérage simple et court, autour de 4 thématiques banales.
Thèmes | Question | Réponse | Cotation |
---|---|---|---|
Insomnie | As-tu souvent des insomnies, des troubles du sommeil, des cauchemars ? | Insomnie, troubles du sommeil | 1 point |
Cauchemars | 2 points | ||
Stress | Te sens-tu stressé par le travail scolaire ou bien par l'ambiance familiale ? Par les deux ? | Stress lié au travail scolaire ou à l'ambiance familiale | 1 point |
Stress lié au travail scolaire et à l'ambiance familiale | 2 points | ||
Brimades | As-tu été récemment brimé ou maltraité à l'école, ou par téléphone ou sur internet ? Et en dehors de l'école ? | Brimade ou maltraitance à l'école, par téléphone ou internet | 1 point |
Brimade ou maltraitance en dehors de l'école | 2 points | ||
Tabac | Fumes-tu parfois du tabac ? Tous les jours ? | Tabagisme infra-quotidien | 1 point |
Tabagisme quotidien | 2 points |
Le fonctionnement de l’outil BITS
Chaque réponse positive à la question d’ouverture (1 point) appelle à la question de gravité (+1 point).
Un « zéro » est toujours rassurant. À partir de 3 points, il est préconisé de questionner sur des idées ou des actes suicidaires.
Ces questions n’induisent en rien l’acte lui-même.
Tout accompagnement représente déjà une aide pour l’adolescent, qui ne se sent plus seul avec ce poids.
Évaluer au regard de CPIRE
Les conduites décrites ici sont rarement isolées. L’acronyme CPIRE cible leurs caractéristiques délétères et leur somme signe la gravité : cumulée, précoce, intense, répétée, excluante.
La HAS recommande d’avoir recours au BITS lors de chaque consultation d’enfant ou adolescent de plus de 12 ans (1).
Dans le cadre du BITS ou au-delà, plusieurs thèmes méritent d’être explorés.
« Dans la cour de récré comment cela se passe-t-il ? As-tu déjà été blessé, moqué, victime de violences ? ».
À 16 ans, plus de 15 % des adolescents sont concernés. Il n’y a pas de profil spécifique, les harceleurs se valorisent en enclenchant une emprise sur une personne qui devient bouc émissaire. L’isolement du harcelé, majoré par une carence de communication familiale, peut entrainer des troubles physiques, une dévalorisation, une dépression, une déscolarisation, le suicide.
« Utilises-tu ton portable pour t’endormir ? » « Est-ce que tu le prends plus de 5 heures par jour ? ».
Les réseaux sociaux majorent les troubles psychiques. Les jeux sont construits pour capter l’attention. L’excès d’usage perturbe l’économie cérébrale de l’attention, le sommeil et l’intégration sociale. Pour évaluer une dépendance à internet, il existe le test IAT en 20 questions, via le site addictauvergne.fr.
« As-tu déjà fumé ? Si oui, que du tabac ? Et as-tu déjà été ivre ? ».
Tabac : la dépendance ultérieure est liée à la précocité de l’initiation. Voir le test de Fageström (PDF).
Alcool : le binge drinking, ou alcoolisation ponctuelle importante (API), ouvre au risque de coma éthylique, d’accidents, de rapports sexuels non consentis. Leur fréquence multiplie par 3 le risque d’alcoolo-dépendance. Il est possible de repérer les consommations problématiques avec le questionnaire « FACE ».
Cannabis : sa consommation ralentit les perceptions, la motivation, la vigilance, et les processus d’apprentissage. Le test Cast (Cannabis abuse screening test) permet en 6 questions de faire le point sur cette addiction.
« As-tu besoin de te griffer pour t’apaiser ? As-tu déjà souhaité partir, fuir, mourir ? ».
Scarifications : ce sont des actes de soulagement non suicidaires, même s’ils sont liés. Elles sont surtout réalisées par les filles.
Suicide : c’est la 2e cause de mortalité chez les jeunes surtout chez les garçons. Voir les questions à poser sur la fiche de la HAS sur ces conduites suicidaires.
Les idées et tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les filles. Ce sont surtout des désirs de vivre autrement, d’être ailleurs tout de suite, de faire cesser ou de s’effacer. Ces idées ou tentatives ont un retentissement psychosocial et physique à court et long terme.
Pour repérer la dépression chez le jeune patient, il est possible d’utiliser les 10 questions de l’auto-questionnaire ADRS (adolescent depression rating scale).
« Es-tu satisfait ou inquiet de ton poids ? Voudrais-tu maigrir ? Te fais-tu vomir ? ».
Les troubles alimentaires : ce sont d’importantes morbidités biopsychosociales. On peut citer notamment :
- l’anorexie, qui est un risque mortel majeur. Un outil d’aide au diagnostic de la boulimie existe sur le site tca-poitoucharentes.fr/anorexiclic ;
- la boulimie, qui entraîne des troubles métaboliques ou encore l’hyperphagie, qui peut être à l’origine de l’obésité. Leur repérage est détaillé sur la fiche outil de la HAS.
Gérer le tiers
Qualifier correctement la demande
La demande n’est pas toujours claire. Il existe de fréquents enjeux de délégation et particulièrement dans les systèmes familiaux séparés ou recomposés. Le médecin doit s’interroger devant toute demande de tiers, y compris au téléphone : « Qui demande quoi et pour qui ? Qui souffre ? ».
Avec ou sans le tiers ?
- En présence du tiers, il est important de repérer, nommer et clarifier les fonctionnements sans juger ni vouloir tout bousculer, susciter l’expression de chacun.
- Privilégier un entretien avec l’adolescent sans le tiers :
- soit en faisant sortir le tiers avec délicatesse « Je pense que c’est le moment de... » sans solliciter l’accord de l’adolescent ;
- soit en programmant un rendez-vous avec l’adolescent dans un délai qui est fonction de la gravité de la situation.
- Le retour : le médecin doit s’accorder avec l’adolescent sur ce qui sera dit au tiers « Que va-t-on dire à qui, comment et pourquoi ? ».
Intervenir de façon ciblée et adaptée
Il s’agit d’accompagner en introduisant du sens et du lien pour passer un cap difficile, sans vouloir tout résoudre.
- Nommer le mal-être en repérant les vulnérabilités, identifier la fonction de la conduite, le niveau de gravité mais aussi les facteurs de protection et de résilience.
- Discerner : l’expression d’un caractère, la stratégie adaptative, l’épisode dépressif, la symptomatologie psychiatrique.
- Établir une relation de soin favorisant expression et autonomie. Tutoyer ou vouvoyer ? Il n’y pas de réponse universelle. Le minimum est de demander son avis à l’intéressé et que le tutoiement reste respectueux sans paternalisme déplacé.
- Rassurer : éclairer la compréhension du corps et des émotions, surtout à propos de normalité, d’identité, de sexualité et des somatisations.
- Valoriser l’estime de soi en s’appuyant sur les compétences adaptatives de l’ado et une diversité de solutions, échanger sur tous les aspects positifs.
- S’accorder sur des objectifs ciblés et limités puis s’assurer d’une bonne compréhension, séquencer en privilégiant davantage la fréquence de consultations que leur durée.
Les solutions d’orientation
Connaître le réseau de recours : il s’agit de constituer et mettre à jour son réseau de recours : psychiatre, psychologue, psychomotricien, assistant social, médecin scolaire.
Demander un avis et poursuivre le suivi. Il n’est pas toujours facile de différencier une stratégie adaptative d’un épisode dépressif, une réaction caractérielle d’une symptomatologie psychiatrique.
Orienter pour une prise en charge. Quand la situation se chronicise ou s’aggrave, orienter de façon personnalisée. Informer l’adolescent que cette orientation n’est pas un abandon mais un enrichissement. Solliciter un retour courrier du correspondant
Documents utiles
- L'interview du Dr Philippe Binder sur le repérage de la souffrance psychique des 15-16 ans
- La vidéo « Enzo a mal au dos »
- Des conseils pratiques pour aborder la consultation sur medecin-ado.org
- Le site ressource medecin-ado.org avec de nombreux outils pratiques
- Le court-métrage « Comme un possible »
- La fiche pratique des conduits à risques du Collège de médecin générale
- « Les compétences attendues pour l’accueil d’un adolescent en médecin général » : un référentiel d’attitudes validées par des spécialistes
- Les recommandations de la HAS sur les manifestations dépressives à l'adolescence, sur les idées et conduites suicidaires chez l'enfant et l'adolescent
(1) Idées et conduites suicidaires chez l’enfant et l’adolescent : prévention, repérage, évaluation, prise en charge. Recommander les bonnes pratiques. HAS. Septembre 2021.
(2) Chan-Chee C. Les hospitalisations pour tentative de suicide dans les établissements de soins de courte durée : évolution entre 2008 et 2017. BEH 3-4. 5 février 2019
(3) Drogues, chiffres clés, 8e édition. OFDT. Juin 2019.
(4) Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019. Études et résultats. DREES. Numéro 1163. Septembre 2020.
Les outils et les ressources mis en place pour l'accueil de l'adolescent en médecine générale ont été réalisés en partenariat avec le Collège de la médecine générale (CMG).
