Binge drinking : repérage précoce et prise en charge par le médecin traitant

Publié dans : Santé et prévention

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), en 2017, 44 % des jeunes de 17 ans déclaraient avoir eu un comportement d’alcoolisation ponctuelle importante ou « binge drinking » au cours du dernier mois (voir encadré ci-après). Ils étaient 16,4 % à répéter ce comportement (au moins 3 épisodes au cours du mois), et 2,7 % (1) à s’adonner à cette pratique de façon régulière, soit plus de 10 fois par mois.

En tant que médecin traitant, il est important de parler d’alcool avec tous les jeunes patients suivis, et en particulier d’aborder leur motivation à consommer. Une consommation d’alcool jusqu’à l’ivresse comporte des risques à court et moyen terme et ne doit jamais être banalisée. Il convient dès lors, en cours de consultation, d’entamer une démarche de repérage précoce accompagnée d’une intervention brève (RPIB). Le repérage précoce consiste à interroger le patient sur sa consommation d’alcool et à évaluer son risque. Si le risque est avéré, s’ensuit une phase d’intervention brève puis une phase d’accompagnement du patient.

Des études indiquent que le cerveau de l’adolescent présente une grande vulnérabilité aux effets neurotoxiques de l’alcool, que l’usage soit ponctuel ou régulier (2).

Cependant, le binge drinking expose les consommateurs à des dangers spécifiques accrus :

  • altération des facultés cognitivo-comportementales ;
  • prises de risques multiples (altercations, conduite en état d’ivresse, etc.), notamment dans le champ de la sexualité (rapports non protégés, relations non consenties) ;
  • troubles du comportement (violence, impulsivité) ;
  • dégradation du bien-être général (troubles de la concentration, de la mémoire, du sommeil, fatigue, difficultés financières, etc.).

À long terme, le binge drinking accroît le risque de développer une dépendance et des pathologies :

  • cancers ;
  • atteintes hépatiques (stéatose, hépatites, cirrhose), cardiaques (cardiopathie ischémique), cérébrales (neuropathies périphériques, encéphalopathies, troubles cognitifs) ;
  • pathologies psychiatriques (dépendance, dépression) (3).

Qu’est-ce que le binge drinking ?

Le binge drinking est un terme anglo-saxon, traduit par « alcoolisation ponctuelle importante » (API) en France. Il concerne principalement les jeunes, en particulier ceux âgés entre 15 et 25 ans. Il correspond à un état d’ivresse aiguë avec des spécificités propres.

Selon la Haute Autorité de santé (HAS), le binge drinking, peut être défini comme la consommation d’au moins 6 verres d’alcool (soit 60 g d’alcool pur) par occasion. D’autres définitions du binge drinking, un peu différentes, existent également (4).

Contrairement à une addiction, le binge drinking est un comportement choisi par le jeune. L’effet recherché est l’ivresse obtenue le plus rapidement possible. Or c’est précisément cette vitesse de consommation qui est dangereuse.

Cette pratique n’est pas le symptôme comportemental d’une dépendance, bien qu’il multiplie par 3 le risque de devenir alcoolo-dépendant chez les jeunes entre 18 et 25 ans (5).

Pour rappel, un verre standard correspond à 10 g d’alcool pur.

repères de la consommation d'alcool

Repères actualisés par un groupe d’experts mandaté par Santé publique France et l’Institut national du cancer (Inca).

Un verre standard = un ballon de vin ou une coupe de champagne à 12° (10 cl) = un verre de pastis ou de whisky à 40/45° (2,5 cl) = un verre d’apéritif à 18° (7 cl) = un « demi » de bière à 5° (25 cl).

Les repères de consommation à moindres risques s’adressent ainsi aux adultes en bonne santé, sans distinction de sexe (hors femmes enceintes), qui sont consommateurs d’alcool. Ils prennent en compte la fréquence et la quantité d’alcool consommé et comportent 3 dimensions :

  • ne pas consommer plus de 10 verres standard par semaine ;
  • ne pas consommer plus de 2 verres standard par jour ;
  • avoir des jours dans la semaine sans consommation.

Il n’existe pas de « profil type » de binge drinkers. Les motivations à consommer peuvent être très différentes (désir d’appartenance à un groupe, mal-être, etc.).

Ces patients peuvent être repérés à différentes occasions :

  • une consultation de routine :
    • délivrance d’ordonnance,
    • remise d’un certificat à la pratique sportive,
    • examen obligatoire des 15/16 ans, etc.  ;
  • ou bien à la suite d’une hospitalisation pour alcoolisation aiguë. Le passage aux urgences est un signe d’alerte qu’il est important d’évoquer avec le jeune patient ou la jeune patiente.

Pour un repérage efficace, plusieurs principes doivent être observés :

  • la question de la consommation d’alcool peut être posée à tous les jeunes dès leur entrée au collège, l’âge moyen de la première consommation se situant aux alentours de 13 ans (6) ;
  • elle doit être posée au moins une fois par an, et réitérée si le patient présente des facteurs de risque (environnement familial difficile, mal être, etc.) ;
  • pour aborder ce sujet et obtenir des réponses sincères, il est essentiel de voir le patient seul.

Après avoir interrogé le patient sur sa consommation, il convient d’évaluer son risque individuel. Pour cela, le questionnaire FACE (Formule pour approcher la consommation d’alcool par entretien), repris dans l’« Outil d’aide au repérage précoce et à l’intervention brève » (RPIB) de la HAS, peut être un outil utile (voir  ci-après) (7).

Questionnaire FACE
Questions\Points 0 1 2 3 4 Score
À quelle fréquence consommez-vous des boissons contenant de l’alcool ? Jamais 1 fois par mois 2 à 4 fois par mois 2 à 3 fois par semaine 4 fois par semaine ou plus  
Combien de verres standards buvez-vous, les jours où vous buvez de l’alcool ? 1 ou 2 3 ou 4 5 ou 6 7 à 9 10 ou plus  
Est-ce que votre entourage vous a fait des remarques concernant votre consommation d’alcool ? Non       Oui  
Vous est-il arrivé de consommer de l’alcool le matin pour vous sentir en forme ? Non       Oui  
Vous est-il arrivé de boire et de ne plus vous souvenir le matin de ce que vous avez pu dire ou faire ? Non       Oui  

Si le score du patient est de moins de 5 pour les hommes ou de moins de 4 pour les femmes, son risque est faible ou nul. Si le score du patient est entre 5 et 8 pour les hommes ou entre 4 et 8 pour les femmes, il y a une consommation excessive probable (le risque est modéré). Si le score du patient est supérieur à 8 (homme ou femme), le risque est élevé et il y a une dépendance probable.

L’alcoomètre, proposé par Santé publique France, peut également être un outil d’intérêt pour permettre au jeune d’évaluer lui-même sa consommation d’alcool.

La phase d’intervention brève

Il n’existe pas de réponse standardisée, c’est pourquoi chaque patient nécessitera une prise en charge adaptée en fonction de son profil et de ses besoins. Dans tous les cas, il est important, autant que possible, d’impliquer l'entourage dans la prise en charge.

Lors de la mise en place d’une intervention brève auprès d’un jeune binge drinker, il convient d’adopter une attitude empathique et bienveillante pour l’informer le plus efficacement possible :

  • sur sa consommation (en particulier s’il a rempli le questionnaire FACE) ;
  • sur les risques qu’il encourt à court terme (altération de la mémoire, agressivité, rapports non consentis, prise de poids, coût de l’alcool, etc.). Les risques à long terme peuvent également être mentionnés mais ce rappel se révèle généralement moins efficace.

Il convient par ailleurs d’être particulièrement vigilant si le jeune présente des comorbidités, surajoutant un risque de dépendance à l’alcool. Il peut s’agir :

  • d’antécédents psychiatriques (trouble anxieux, trouble de l’humeur, psycho-trauma, etc.) ;
  • de changement de comportement récent (isolement, agressivité, changement d’amis, perte d’intérêt pour les loisirs ou l’école, etc.).

Il est également conseillé d’interroger les motivations de cette consommation (festivité, mal-être, ennui, etc.) avec des questions ouvertes comme « Que pensez-vous de votre consommation ? ». Échanger autour des bénéfices d’un arrêt ou d’une limitation de la consommation peut s’avérer productif (ex : « Quel intérêt retireriez-vous à réduire, voire arrêter, votre consommation d’alcool ? »).

Lorsque le patient prend conscience de son comportement et émet un désir de changer sa consommation, la prise en charge s’illustre par :

  • un accompagnement de type entretien motivationnel ;
  • une réévaluation à plusieurs semaines de ses consommations, en évoquant par exemple les bénéfices observés par le jeune.

La phase d’accompagnement

Pour accompagner le jeune patient, il est important :

  • d’établir une relation de confiance au cours de l’entretien motivationnel ;
  • de valoriser l’effort de réduction de la consommation d’alcool du jeune patient ;
  • de soutenir la modération de sa consommation, voire possiblement son abstinence, tout en  renforçant les autres conduites favorables à la santé (alimentation, activité physique, etc.).

En cas de reprise ou de maintien d’épisodes fréquents de binge drinking, de survenue de dommages ou de dépendance, le recours à une consultation d’addictologie pourra être proposé au jeune patient. De même, en cas de risque évalué « élevé », ou s’il exprime le désir d’un suivi spécifique pour réduire ou arrêter ses consommations (alcool et/ou tabac et/ou autres drogues), une orientation vers des lieux spécialisés sera proposée.

Plusieurs lieux de pris en charge et outils sont à disposition pour une aide adaptée :

  • les consultations jeunes consommateurs (CJC), proposent des temps d’accueil gratuits et confidentiels pour les 12-25 ans (et leur entourage) se questionnant ou nécessitant un suivi de leurs conduites addictives :
    • dans les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) ;
    • dans les Maisons des adolescents et Points accueil écoute jeunes.
  • L’annuaire alcool info service permet d’identifier les lieux spécialisés les plus proches pour le jeune patient ;
  • Le site « alcool info service » de Santé publique France permet de s’informer sur les questions d’alcool, et traite spécifiquement de la question du binge drinking.
  1. Observatoire francais des drogues et des toxicomanies. Synthèse thématique : alcool
  2. Alcool & Santé Inserm, La science pour la santé [Internet]. Inserm.
  3. Quels sont les risques de la consommation d’alcool pour la santé ?
  4. Boîte à outils [Internet]. Alcool Info Service.
  5. Conduites addictives et adolescence [Internet].
  6. SPF. La consommation d’alcool des jeunes : ce que nous apprennent les enquêtes.
  7. Outil d’aide au repérage précoce et intervention brève : alcool, cannabis, tabac chez l’adulte [Internet]. Haute Autorité de santé.
  8. Les consultations jeunes consommateurs (CJC), une aide aux jeunes et à leur entourage [Internet]. Drogues Info Service.
  9. Le binge-drinking ou ‘biture express’ c’est quoi ? - alcoolinfoservice [Internet]. Alcool Info Service.
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