La lettre de cadrage ministérielle
Conformément aux dispositions de l’article L. 162-14-5 du code de la sécurité sociale, le ministre de la Santé et de la prévention et la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé ont adressé au président et au directeur général de l’Uncam, le 17 octobre, un courrier fixant ses lignes directrices pour la future négociation de la convention médicale.
Paris, le 16 octobre 2023
Monsieur le Directeur général,
Le dispositif conventionnel est au cœur de notre pacte social. Il est un espace vivant et efficace de notre démocratie sociale, et nous y accordons à ce titre une importance toute particulière. Nous restons convaincus que les réponses aux enjeux de notre système de santé - l'amélioration de l'accès aux soins, la réduction des inégalités géographiques, financières et sociales de santé, la qualité et la pertinence des soins, l'attractivité des métiers du soin, l'excellence médicale - ne pourront se construire sans les professionnels de santé libéraux.
Depuis quelques mois, l'activité conventionnelle a connu une dynamique remarquable, puisque vous avez signé des accords avec la quasi-totalité des professions libérales. Ces conventions et avenants, élaborés avec les professionnels et représentants des organismes complémentaires, ont permis des avancées notables pour les assurés sociaux, en matière de santé publique et de prévention, d'accès aux soins, et de réduction des inégalités de santé. Ils ont également permis une meilleure valorisation de l'exercice des professionnels concernés.
Cette dynamique ne saurait toutefois masquer le fait qu'il n'a pas été possible de conclure un accord avec les médecins libéraux en février dernier, et que c'est le règlement arbitral qui s'applique actuellement.
Malgré l'investissement financier important que représente ce règlement arbitral, nous ne pouvons nous résoudre à l'absence de cadre conventionnel signé avec les représentants des médecins libéraux.
À l'heure où notre pays fait face à une pression extrêmement forte sur les professionnels de santé, où le travail quotidien des médecins est parfois marqué par une perte de sens et la volonté de retrouver le temps nécessaire pour le soin, où les enjeux populationnels et territoriaux sont à l'origine d'une mutation accélérée de l'offre de soins, il nous semble nécessaire que les médecins libéraux aient la possibilité de réinventer leur métier, de contribuer aux évolutions structurelles de notre système de santé et ainsi de mieux répondre aux besoins de santé de nos concitoyens.
Nous avons eu l'occasion d'échanger en toute transparence sur le bilan de la précédente séquence de négociation. Les conclusions de nos échanges convergent très largement avec celles issues des discussions que nous avons eues depuis plusieurs semaines avec les syndicats représentatifs des médecins libéraux.
Notre rôle est de garantir à chacun un égal accès à un système de santé de qualité. Notre rôle est de mobiliser toutes nos forces pour réduire les inégalités de santé. Notre rôle est de défendre le droit des assurés sociaux et des patients, partout sur le territoire. Nous n'atteindrons toutefois pas ces objectifs sans une convergence forte avec les principaux acteurs de ce système de santé, soit les professionnels de santé eux-mêmes.
Deux points préalables nous semblent devoir être posés.
Nous souhaitons tout d'abord que vous puissiez appréhender la question de l'accès aux soins, en travaillant prioritairement sur les conditions du rôle du médecin traitant, la structuration des équipes de médecins spécialistes, la pertinence des parcours de soins et le renforcement des liens avec les autres professionnels de santé.
En méthode, nous souhaitons que de nouvelles modalités de négociation soient adoptées : elles devront être marquées par le choix d'une plus grande transparence et de priorités resserrées pour davantage de lisibilité. Par ailleurs, les discussions autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme d'autres textes législatifs, ne sauraient affecter la procédure conventionnelle, qui doit être claire, respectueuse et apaisée. Nous y veillerons personnellement.
Plus généralement, nous vous demandons que la négociation conventionnelle puisse s'ouvrir autour des principales lignes directrices suivantes.
L'attractivité de la médecine libérale, afin que davantage de jeunes médecins s'installent et s'engagent dans le suivi d'une patientèle au long cours. Renforcer l'offre de soins en augmentant le nombre de médecins en activité reste le moyen le plus sûr de garantir l'accès aux soins de tous. Le défi de l'attractivité repose notamment sur la rémunération des médecins, objet qu'il faudra traiter sans détours. Nous mesurons pleinement les revendications des parties prenantes en la matière et il est nécessaire de travailler à de nouvelles évolutions, au-delà du montant arrêté dans le règlement arbitral, qu'il s'agisse de la rémunération de l'activité clinique et de l'activité technique, dont la nouvelle nomenclature aura été refondue et stabilisée par le Haut Conseil à la Nomenclature d'ici fin 2024. Ces évolutions s'entendent sur toute la durée d'exécution de la convention et pourront être progressives. Ce véritable défi de l'attractivité repose également sur la capacité du médecin à faire face au quotidien à la demande croissante de nouveaux patients, ce qui nécessite le développement du travail aidé et des organisations de soins coordonnés. Il repose surtout sur un ensemble de facteurs qu'il faudra apprécier plus globalement : le sens du métier de médecin, la qualité de vie au travail, la transition entre les dernières années d'étude et l'entrée dans la vie professionnelle, les modalités d'exercice en établissement de santé pour les professionnels concernés, la volonté de certains jeunes médecins d'avoir une activité mixte et diversifiée en ambulatoire, un accompagnement à l'installation en particulier au sein d'un collectif de professionnels, la réduction des charges administratives et des consultations évitables (pour des certificats médicaux par exemple), l'accompagnement des médecins séniors pour soutenir la poursuite de leur activité.
La pertinence et la qualité des soins et des prescriptions, dans un contexte de très forte dynamique des dépenses de santé. La pérennité de notre système de santé et d'assurance maladie repose sur notre capacité collective à investir à bon escient les moyens de l'Assurance Maladie. Investir davantage dans la rémunération des professionnels doit avoir pour corollaire d'opérer un tournant dans la manière dont la santé est appréhendée en France. Notre pays se distingue par exemple par des niveaux atypiques de consommation de médicaments, dont les impacts sur les finances publiques, mais également sur la santé publique et l'environnement sont désormais largement documentés. La sobriété et l'excellence du système de santé français reposeront dans les années à venir sur la capacité des autorités sanitaires et des prescripteurs à investir prioritairement dans la prévention, à limiter les actes inutiles ou redondants, à ne faire intervenir des dispositifs curatifs que lorsque ces derniers sont nécessaires. Les enjeux relatifs à la juste prescription n'ayant jamais été aussi centraux, la médecine libérale aura un rôle clé à jouer pour la sobriété du système de santé qui est également un levier de sa décarbonation. Nous souhaitons à ce titre que la prochaine convention intègre des leviers concrets pour garantir la pertinence des prescriptions, dans une logique de responsabilité partagée.
L'évolution du rôle du médecin traitant et la structuration de la médecine spécialisée, afin de mieux répondre aux enjeux du vieillissement et de l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques. Il convient ainsi de construite un système de santé fondé sur des parcours de soins, sans rupture pour les patients. Cela nécessite de réaffirmer le rôle central du médecin traitant dans la prise en charge globale du patient, ce qui inclut l'attention portée aux enjeux de prévention et de dépistage. Il s'agit également de permettre aux médecins spécialistes de s'organiser territorialement pour assurer partout et de manière pérenne une prise en charge adaptée, pertinente et précoce. Cette organisation nouvelle devra également tenir compte de la nécessité de réduire certains déséquilibres de rémunération entre spécialités médicales.
Pour répondre à l’ensemble de ces objectifs, il convient d’ouvrir la discussion afin de faciliter l’évolution des modalités de rémunération des médecins. Les enjeux relatifs à l’attractivité, à la juste reconnaissance de l'expertise médicale, à la pertinence des soins comme des prescriptions, au besoin de fluidification des parcours entre la ville et l'hôpital, à la place du médecin traitant, des autres médecins spécialistes et à l'amélioration du suivi des patients atteints de pathologies chroniques nécessitent de repenser nos modèles de financements. Nous vous invitons ainsi à engager la discussion avec les médecins sur de nouvelles formes de rémunération et une simplification importante des différentes rémunérations forfaitaires actuelles.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Directeur général, l'expression de notre considération distinguée.
Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et de la prévention
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé auprès du ministre de la Santé et de la Prévention