Place des benzodiazépines dans les troubles anxieux de l’adulte
Publié dans : Médicaments et dispositifs
18 avril 2025

L’essentiel
Place des benzodiazépines dans les troubles anxieux de l'adulte : des traitements courts et de 2nd intention dont l'arrêt est à anticiper dès le début
Comprendre
- Évaluer la situation du patient : écarter une dépression ou un trouble psychiatrique, rechercher une origine somatique ou toxique
- Écarter le risque de mésusage : abus, pharmacodépendance, usage détourné
Prescrire
- En 2nd intention après un échec des mesures non médicamenteuses
- Limiter la prescription à 12 semaines y compris la période de réduction de la posologie.
- Privilégier les molécules à demie vie courte chez le sujet âgé
Optimiser
- Privilégier les mesures d'accompagnement non médicamenteuses : règles d'hygiène de vie, thérapie cognitive et comportementale
- Réévaluer l'opportunité à chaque renouvellement
- Arrêt toujours progressif
Accompagner
- Emporter l'adhésion du patient
- Évoquer l'arrêt dès l'initiation de traitement
- Sensibiliser le patient aux effets indésirables
Près d’un tiers des patients adultes sous benzodiazépines anxiolytiques ont une durée de prescription supérieure à la durée maximale autorisée de 12 semaines. Pourtant les effets secondaires et les conséquences d’une consommation prolongée et/ou excessive peuvent avoir des effets majeurs sur l’état de santé des personnes, surtout chez les sujets âgés.
Les dépenses annuelles remboursées pour les benzodiazépines anxiolytiques s’élèvent à 75 millions d’euros pour un nombre de consommants adultes de 7,7 millions. Les deux tiers de ces patients sont âgés de 50 ans et plus et près de 45 % des dépenses concernent des patients de 65 ans et plus (1).
Face à ce constat, il est donc essentiel :
- de prescrire les benzodiazépines seulement en seconde intention, après échec ou insuffisance de mesures non médicamenteuses ;
- de réduire les prescriptions au long cours des benzodiazépines ;
- d’anticiper leur arrêt dès la mise sous traitement du patient (2).
(1) Données issues du Système national d'information inter-régimes de l'Assurance Maladie (Sniiram) entre juillet 2023 et juin 2024.
(2) Bon usage du médicament – Quelle place pour les benzodiazépines dans l’anxiété ? Haute Autorité de santé (HAS), 11 juillet 2024.
Voici quelques conseils que vous pouvez délivrer à vos patients :
- mettre en place des règles d’hygiène de vie favorables, inciter le patient à adopter des rythmes réguliers, une alimentation équilibrée, à pratiquer une activité physique régulière, à être vigilant vis-à-vis de son sommeil ;
- prendre en charge les causes de l’anxiété ;
- proposer des thérapies cognitivo-comportementales (TCC). D’autres techniques existent comme le contrôle respiratoire (1), la relaxation, la méditation de pleine conscience…
(1) C’est la technique la plus simple et la plus accessible pour le patient. Lors de phases d’anxiété, la tendance est à l’hyperventilation qui autoalimente la spirale anxieuse du fait de ses effets physiologiques (tachycardie, tremblement…) et métaboliques (alcalose respiratoire). Les consignes sont de respirer lentement, profondément, en privilégiant la respiration abdominale et en favorisant le temps expiratoire.
Des indications restreintes
Traitement des manifestations anxieuses sévères et/ou invalidantes (il existe d’autres indications non visées dans ce document).
Cette indication regroupe 2 situations distinctes :
- les manifestations anxieuses liées à un trouble anxieux (trouble anxieux généralisé, trouble panique - avec ou sans agoraphobie - , trouble de l’anxiété sociale ou phobie sociale, trouble obsessionnel compulsif [TOC], état de stress post-traumatique) ;
- les manifestations anxieuses liées à un trouble de l’adaptation (ensemble de syndromes de réponse au stress qui se développent après un événement de vie difficile).
Seulement en cas de retentissement important des manifestations anxieuses sur le fonctionnement quotidien et la qualité de vie.
Des effets indésirables parfois graves
- confusion, troubles de la mémoire, baisse de vigilance voire somnolence et risque accru de chutes, en particulier chez le sujet âgé ;
- dépendance physique et psychique même à doses thérapeutiques avec syndrome de sevrage ou de rebond à l’arrêt du traitement.
Contre-indications générales des spécialités anxiolytiques
- hypersensibilité à la substance active ou à l'un de ses excipients ;
- insuffisance respiratoire sévère ;
- syndrome d’apnée du sommeil ;
- insuffisance hépatique sévère, aiguë ou chronique (risque de survenue d’une encéphalopathie) ;
- myasthénie.
Éléments à vérifier avant de prescrire
Évaluer la situation du patient : son type d’anxiété, son état physiologique, ses comorbidités éventuelles, les risques d’interactions médicamenteuses et les contre-indications, etc.
Rechercher et prendre en charge spécifiquement une dépression ou un trouble psychiatrique à l’origine des manifestations anxieuses, rechercher une origine somatique (hyperthyroïdie, hyperparathyroïdie, phéochromocytome…) ou toxique (caféine, stimulants, alcool, drogues…) des symptômes anxieux.
Le traitement de fond des troubles anxieux repose sur les psychothérapies et des options thérapeutiques validées, essentiellement des antidépresseurs.
De manière générale, il n’est pas recommandé d’utiliser des benzodiazépines chez les patients présentant un trouble cognitif psychique ou neurologique.
Écarter le risque de mésusage en repérant les patients à risque, à l’aide d’outils validés, notamment l’échelle ECAB.
Le choix de la molécule
Le choix de la molécule se fait en fonction :
- du profil du patient ;
- de l’état physiologique du patient (âge, état rénal et hépatique, antécédents psychiques) ;
- de la demi-vie, du délai et de la durée d’action du produit ;
- du risque d’interactions médicamenteuses notamment avec d’autres psychotropes.
Durée d'utilisation la plus courte possible
(sans dépasser 12 semaines (sauf clorazépate dipotassique 20 mg limitée à 28 jours))
Molécule | Nom commercial | Dosages et formes galéniques | Conditionnements | Mise à disposition d'un petit conditionnement | Demi-vie d’élimination plasmatique (mesurée chez l’adulte) | Tmax (absorption rapide ou non) – concentration maximale atteinte après l’administration | Prescription sur ordonnance sécurisée | Réservé à l'adulte | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
anxiolytiques | Clotiazépam | Veratran® | 5 mg cp et 10 mg cp sécable | bt 30 | 4 h | 1 h | x | ||
Oxazépam | Seresta® | 10 mg cp et 50 mg cp sécable | bt 30 (10 mg) et bt 20 (50 mg) | 8 h | 2 h | 50 mg | |||
Lorazépam | Temesta® et Génériques | 1 mg et 2,5 mg cp sécable | bt 30 | 10 h à 20 h | 30 min à 4 h | 2,5 mg | |||
Alprazolam | Xanax® et Génériques | 0,25 mg et 0,50 mg cp sécable ou non sécable | bt 30 | 10 h à 20 h | 30 min à 2 h | x | |||
Bromazépam | Lexomil® et Génériques | 6 mg cp quadrisécable - 1,5 mg cp | bt 30 (6 mg) ou bt 120 (1,5 mg) | 20 h | 30 min à 4 h | ||||
Diazépam | Valium® et Génériques | 2 mg et 5 mg cp et 10 mg cp sécable ou non sécable et 1% sol buvable en gouttes | bt 30 (10 mg) et bt 40 (2 et 5 mg) et 1 flacon 20 ml | 32 h à 47 h | 30 min et 1 h 30 | ||||
Clobazam | Urbanyl® | 5 mg gélule, 10 mg cp sécable et 20 mg cp | bt 30 | 36 h | 30 min à 4 h | x | |||
Loflazépate d’éthyle | Victan® | 2 mg cp sécable | bt 30 | 77 h | 1 h 30 | x | |||
Prazépam | Lysanxia® et Génériques | 10 mg cp sécable ou non et 15 mg/ml sol buvable en gouttes | bt 40 (10 mg) et 1 flacon de 20 ml | 30 h à 150 h (en moyenne 65 heures | 4 h à 6 h | ||||
Clorazépate dipotassique | Tranxène® | 5 mg, 10 mg et 20 mg gélule | bt 30 (5 et 10 mg) et bt 28 (20 mg) | 30 h à 150 h | 1 h | 20 mg | 10 mg et 20 mg |
Une demi-vie correspond au temps qu’il faut à l’organisme pour que la quantité de molécule, dans la concentration sanguine, soit diminuée de moitié; la quantité de médicament est quasiment totalement éliminée de l’organisme au bout de 5 ½ vies, bien sûr si aucune dose n’a été prise après la dose de départ. On parle d’un médicament (ou d’une molécule) à 1/2 vie longue, lorsque l’organisme met plus de 24 heures pour éliminer ses substances actives de la concentration sanguine.
Télécharger en version imprimable ce tableau (PDF). Le tableau en PDF comporte à la fois les benzodiazépines hypnotiques mais aussi les benzodiazépines anxiolytiques.
Anxiolytiques
Oxazépam 10 mg - Lorazépam 1 mg - Bromazépam et Prazépam 10 mg : non recommandés chez l’enfant, en l’absence d’études ; comprimés non adaptés à l’enfant de moins de 6 ans (risque de fausse route).
Prazépam 15 mg/ml : non recommandé chez l’enfant.
Diazépam : l’utilisation chez l’enfant doit rester exceptionnelle; comprimé non adapté à l’enfant de moins de 6 ans (risque de fausse route).
Clorazépate dipotassique 5 mg : réservé à l’adulte et à l’enfant de plus de 6 ans.
Voici les règles à respecter :
- dose minimum utile, adaptée à la situation clinique de chaque patient (chez le sujet âgé, diminuer au minimum de moitié les doses administrées) ;
- posologie maximale à ne pas dépasser ;
- durée d’utilisation la plus courte possible sans dépasser 12 semaines y compris la période de réduction de la posologie, en raison d’une efficacité limitée dans le temps et de mécanismes de dépendance ;
- ne pas associer plusieurs benzodiazépines anxiolytiques ou hypnotiques qui n’apportent pas d’effet supplémentaire mais potentialisent les effets indésirables parfois graves ;
- ne pas prescrire de benzodiazépine à demi-vie longue chez le sujet âgé (surrisque iatrogénique) ;
- pas de renouvellement systématique : nécessité d’une réévaluation du besoin avant chaque prescription ;
- privilégier les conditionnements avec le moins d’unités de prise.
Dès la première prescription, il convient d’expliquer au patient la durée de son traitement, les précautions à prendre, les risques associés à leur usage (somnolence, dépendance, risque accru de chutes, interactions avec l’alcool, risque avec la conduite automobile …), et envisager avec lui les modalités d’arrêt de son traitement. Bien que l’objectif soit l’arrêt complet, l’obtention d’une diminution de la posologie doit déjà être considérée comme un résultat favorable.
Il convient aussi de prévoir de réévaluer la situation à l’issue du traitement, et de dépister une éventuelle chronicisation du trouble.
Si la stratégie d’arrêt échoue, il est recommandé d’encourager le patient à recommencer ultérieurement après évaluation des raisons de l’échec.
Pour aller plus loin :
- lire l’article de la Haute Autorité de santé (HAS) « Arrêt des benzodiazépines et médicaments apparentés : démarche du médecin traitant en ambulatoire » dans lequel figure un arbre décisionnel ;
- télécharger l'infographie Proposition d'une démarche pour l'arrêt d'une benzodiazépine lors de la prise en charge par le médecin généraliste
- Questionnaire ECAB (HAS) ;
- Signes rapportés lors de l’arrêt des benzodiazépines (1) ;
- Courrier d’information de la part du médecin traitant ;
- Calendrier de suivi de l’arrêt (2) ;
- Arbre décisionnel sur l'arrêt des benzodiazépines.
(1) Indique par intensité modérée à sévère les signes rapportés lors de l’arrêt des benzodiazépines.
(2) Ce calendrier d’arrêt est destiné à mieux faire comprendre au patient les modalités d’arrêt des benzodiazépines, noter les données indispensables au suivi du protocole (notamment les symptômes inhabituels), mieux informer le médecin sur la démarche d’arrêt des benzodiazépines du patient.
La déprescription est un processus permettant d’identifier et d’arrêter des médicaments dans des situations où le risque existant ou potentiel de dommages est plus important que les bénéfices existants ou potentiels, pour un patient donné, par rapport à ses objectifs de soins, son niveau fonctionnel actuel, son espérance de vie, ses valeurs et ses préférences.
La fiche « 10 situations où songer à une déprescription » de l’Omédit Grand-Est a été conçue à cet effet.
Un modèle d’ordonnance de déprescription a été élaboré pour accompagner le processus de mise œuvre d’une déprescription. Un modèle spécifique concerne les benzodiazépines. Il est rédigé spécifiquement pour un patient en fin de consultation, et matérialise l’échange et le choix d’opter pour une déprescription. Ce support ne s’utilise pas pour la dispensation des traitements. On y trouve le nom du patient, des explications, la stratégie adoptée et des conseils.
À cette ordonnance est joint un support personnalisé à remettre également au patient qui vient compléter l’usage de l’ordonnance de déprescription. Au verso, on retrouve quelques éléments informatifs sur la démarche de déprescription ainsi qu’un endroit où indiquer les prochaines consultations de suivi car ce suivi est un point majeur de la déprescription.
Des outils et des sites spécialisés pour vous aider dans votre pratique
Des outils pour aider à la déprescription de l’Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (Omedit) du Grand-est :
- sur la déprescription en général : « Ordonnance de déprescription et cartes de suivi », « Accompagnement à la déprescription médicamenteuse » avec une fiche médecin « 10 situations où songer à une déprescription », un modèle d’ordonnance de déprescription et une carte individuelle patient ainsi que des vidéos d’aide à la déprescription ;
- sur la déprescription des benzodiazépines : ordonnance de déprescription d’une benzodiazépine en format Word et PDF et journal d’actus en matière de déprescription médicamenteuse.
Bibliographie et sites scientifiques
- Quelle place pour les benzodiazépines dans l’anxiété ? HAS juillet 2024
- Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
- Arrêt des benzodiazépines et médicaments apparentés : démarche du médecin traitant en ambulatoire – Fiche Mémo – HAS juin 2015
- Troubles anxieux et phobiques - article de Psycom santé mentale info
Cet article fait partie du dossier : Médicaments et dispositifs
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