Place des benzodiazépines dans les troubles du sommeil de l’adulte
18 avril 2025

L’essentiel
Place des benzodiazépines dans les troubles du sommeil de l’adulte : des traitements courts et de 2nde intention dont l’arrêt est à anticiper dès le début
Comprendre
- Évaluer la situation du patient : profil d’insomnie, état physiologique, mesures non médicamenteuses précédentes
- Écarter le risque de mésusage : abus, pharmacodépendance, usage détourné
Prescrire
- En seconde intention après échec des mesures non médicamenteuses
- Limiter la prescription à 3 semaines maximum (pour la plupart des situations, sans dépasser 4 semaines) y compris la période de réduction de la posologie
- Privilégier les molécules à 1/2 vie courte chez le sujet âgé
Optimiser
- Privilégier les mesures d’accompagnement non médicamenteuses (règles d’hygiène du sommeil, thérapie cognitive et comportementale)
- Réévaluer l’opportunité à chaque renouvellement
- Arrêt toujours progressif
Accompagner
- Emporter l’adhésion du patient
- Évoquer l’arrêt dès l‘initiation de traitement
- Sensibiliser le patient aux effets indésirables
Un peu plus de deux tiers des patients adultes sous benzodiazépines hypnotiques et apparentés ont une durée de prescription supérieure à la durée maximale autorisée de 4 semaines. Pourtant les effets secondaires et les conséquences d’une consommation prolongée et/ou excessive peuvent avoir des effets majeurs sur l’état de santé des personnes, surtout chez les sujets âgés.
Les dépenses annuelles remboursées pour les benzodiazépines hypnotiques s’élèvent à 20 millions d’euros pour un nombre de consommants adultes de 2,7 millions. Les trois quarts de ces patients sont âgés de 50 ans et plus et plus de la moitié des dépenses concernent des patients de 65 ans et plus (1).
Face à ce constat, il est donc essentiel :
- de prescrire les benzodiazépines seulement en seconde intention, après échec ou insuffisance de mesures non médicamenteuses ;
- de réduire les prescriptions au long cours des benzodiazépines ;
- d’anticiper leur arrêt dès la mise sous traitement du patient (2)
(1) Données issues du Système national d'information inter-régimes de l'Assurance Maladie (Sniiram) entre juillet 2023 et juin 2024.
(2) Bon usage du médicament – « Quelle place pour les benzodiazépines dans l’insomnie » - Haute Autorité de santé (HAS), 11 juillet 2024.
Il convient d’installer des règles d’hygiène du sommeil avant tout : il faut inciter et aider le patient à corriger ses mauvaises habitudes de sommeil et à adopter un comportement qui favorise l’endormissement et la continuité du sommeil.
Il peut être proposé des thérapies cognitivo-comportementales (TCC).
Des indications circonscrites…
Les indications sont les suivantes : traitement à court terme chez l’adulte des troubles sévères du sommeil (au moins 4 nuits par semaine avec retentissement diurne).
Les benzodiazépines hypnotiques ne sont pas indiquées dans le traitement des insomnies chroniques (qui durent plus de 3 mois).
…avec des effets indésirables parfois graves
- confusion, troubles de la mémoire, baisse de vigilance, voire somnolence, et risque accru de chutes, en particulier chez le sujet âgé
- dépendance physique et psychique même à doses thérapeutiques avec syndrome de sevrage ou de rebond à l’arrêt du traitement
Contre-indications générales des spécialités hypnotiques
- hypersensibilité à la substance active ou à l'un de ses excipients ;
- insuffisance respiratoire sévère ;
- syndrome d’apnée du sommeil ;
- insuffisance hépatique sévère, aiguë ou chronique (risque de survenue d’une encéphalopathie) ;
- myasthénie.
Ce qu’il faut vérifier avant de prescrire
Il faut évaluer la situation du patient : son profil d’insomnie, son état physiologique, ses comorbidités éventuelles, les risques d’interactions médicamenteuses et les contre-indications, etc.
Il convient d’écarter le risque de mésusage en repérant les patients à risque, à l’aide d’outils validés, notamment l’échelle ECAB.
De manière générale, il n’est pas recommandé d’utiliser des benzodiazépines chez les patients présentant un trouble cognitif psychique ou neurologique.
Le choix de la molécule
Le choix de la molécule se fait en fonction :
- du profil du patient (problème à l’endormissement, réveils nocturnes ou réveil matinal prématuré) ;
- de l’état physiologique du patient (âge, état rénal et hépatique, antécédents psychiques) ;
- de la demi-vie, du délai et de la durée d’action du produit ;
- du risque d’interactions médicamenteuses notamment avec d’autres psychotropes.
Molécule | Nom commercial | Dosages et formes galéniques | Conditionnements | Mise à disposition d'un petit conditionnement | Demi-vie d’élimination plasmatique (mesurée chez l’adulte) | Tmax (absorption rapide ou non) – concentration maximale atteinte après l’administration | Prescription sur ordonnance sécurisée | Réservé à l'adulte | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
hypnotiques | Zolpidem | Stilnox® et génériques | 10 mg cp sécable | bt 7 et 14 + cdt en bt 5 pour un générique | x | 2,4 h (0,7 - 3,5 h) | 30 min à 3 h | x | x |
Zopiclone | Imovane® et génériques | 3,75 mg cp et 7,5 mg cp sécable | bt 5 et 14 | x | 5 h | 1 h 30 à 2 h | x | ||
Loprazolam | Havlane® | 1 mg cp sécable | bt 20 | 8 h | 1 h | x | |||
Lormétazépam | génériques (Noctamide® n’est plus commercialisé) | 1 mg et 2 mg cp sécable | bt 14 | 10 h | 1 h 30 | ||||
Estazolam | Nuctalon® | 2 mg cp | bt 20 | 17 h | 1 h à 1 h 30 |
Télécharger en version imprimable ce tableau (PDF). Le tableau en PDF comporte à la fois les benzodiazépines hypnotiques mais aussi les benzodiazépines anxiolytiques.
Une demi-vie correspond au temps qu’il faut à l’organisme pour que la quantité de molécule, dans la concentration sanguine, soit diminuée de moitié; la quantité de médicament est quasiment totalement éliminée de l’organisme au bout de 5 ½ vies, bien sûr si aucune dose n’a été prise après la dose de départ. On parle d’un médicament (ou d’une molécule) à 1/2 vie longue, lorsque l’organisme met plus de 24 heures pour éliminer ses substances actives de la concentration sanguine.
Hypnotiques
Lormétazépam : ne pas utiliser chez les enfants et les adolescents <18 ans, sans une évaluation minutieuse de la nécessité du traitement.
Estazolam : non recommandé chez l’enfant, en l’absence d’études. ; comprimé non adapté à l’enfant de moins de 6 ans (risque de fausse route).
Voici les règles à respecter lors de la prescription :
- dose minimum utile, adaptée à la situation clinique de chaque patient (chez le sujet âgé, diminuer au minimum de moitié les doses administrées) ;
- posologie maximale à ne pas dépasser ;
- durée d’utilisation la plus courte possible : de quelques jours à 3 semaines, sans excéder 4 semaines selon la règlementation, y compris la période de réduction de la posologie, en raison d’une efficacité limitée dans le temps et de mécanismes de dépendance ;
- ne pas associer plusieurs benzodiazépines anxiolytiques ou hypnotiques qui n’apportent pas d’effet supplémentaire mais potentialisent les effets indésirables parfois graves ;
- ne pas prescrire de benzodiazépine à demi-vie longue chez le sujet âgé (surrisque iatrogénique) ;
- pas de renouvellement systématique : nécessité d’une réévaluation du besoin avant chaque prescription ;
- privilégier les conditionnements avec le moins d’unités de prise.
Dès la première prescription, il faut expliquer au patient la durée de son traitement, les précautions à prendre, les risques associés à leur usage (somnolence, dépendance, risque accru de chutes, interactions avec l’alcool, risque avec la conduite automobile…), et envisager avec lui les modalités d’arrêt de son traitement.
Bien que l’objectif soit l’arrêt complet, l’obtention d’une diminution de la posologie doit déjà être considérée comme un résultat favorable.
Ensuite il faut prévoir de réévaluer la situation à l’issue du traitement, et de dépister une éventuelle chronicisation du trouble. Si la stratégie d’arrêt échoue, il est recommandé d’encourager le patient à recommencer ultérieurement après évaluation des raisons de l’échec.
Pour vous aider, vous pouvez consulter l’arbre décisionnel extrait du site de la Haute Autorité de santé (HAS) et la proposition d'une démarche pour l'arrêt d'une benzodiazépine lors de la prise en charge par le médecin généraliste (PDF).
La déprescription est un processus permettant d’identifier et d’arrêter des médicaments dans des situations où le risque existant ou potentiel de dommages est plus important que les bénéfices existants ou potentiels, pour un patient donné, par rapport à ses objectifs de soins, son niveau fonctionnel actuel, son espérance de vie, ses valeurs et ses préférences.
La fiche « 10 situations où songer à une déprescription » de l’Omédit Grand-Est a été conçue à cet effet.
Un modèle d’ordonnance de déprescription a été élaboré pour accompagner le processus de mise œuvre d’une déprescription. Un modèle spécifique concerne les benzodiazépines. Il est rédigé spécifiquement pour un patient en fin de consultation, et matérialise l’échange et le choix d’opter pour une déprescription. Ce support ne s’utilise pas pour la dispensation des traitements. On y trouve le nom du patient, des explications, la stratégie adoptée et des conseils.
À cette ordonnance est joint un support personnalisé à remettre également au patient qui vient compléter l’usage de l’ordonnance de déprescription. Au verso, on retrouve quelques éléments informatifs sur la démarche de déprescription ainsi qu’un endroit où indiquer les prochaines consultations de suivi car ce suivi est un point majeur de la déprescription.
Outils, questionnaire, flyers, courrier…
- article « Troubles du sommeil »,
- flyer J'apprends à bien dormir : quelques conseils simples et naturels pour un sommeil de qualité
- questionnaire ECAB ;
- signes rapportés lors de l’arrêt des BZD (1) ;
- courrier d’information de la part du médecin traitant ;
- calendrier de suivi de l’arrêt (2) ;
- agenda sommeil éveil (3) ;
- arbre décisionnel sur l’arrêt des benzodiazépines.
Des outils d’aide à la déprescription de l’Observatoire des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (Omedit) du Grand-Est :
- sur la déprescription en général : « Ordonnance de déprescription et cartes de suivi » ; « Accompagnement à la déprescription médicamenteuse », avec une fiche médecin « 10 situations où songer à une déprescription », un modèle d’ordonnance de déprescription et une carte individuelle patient ainsi que des vidéos d’aide à la déprescription ;
- Sur la déprescription des benzodiazépines avec une ordonnance de déprescription d’une benzodiazépine en format Word et PDF et un journal d’actus en matière de déprescription médicamenteuse.
Pour en savoir plus
- Quelle place pour les benzodiazépines dans l’insomnie ? HAS juillet 2024 ;
- « Troubles du sommeil : stop à la prescription systématique de somnifères chez les personnes âgées » de la HAS 25 septembre 2012 ;
- Fiches du Centre de référence des agents tératogènes (CRAT) : Hypnotiques – Grossesse - dernière date de mise à jour avril 2024 ;
- Arrêt des benzodiazépines et médicaments apparentés : démarche du médecin traitant en ambulatoire – Fiche mémo HAS de juin 2015 ;
- Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), « Insomnie, un trouble neurobiologique et psychologique ».
(1) Indique par intensité modérée à sévère les signes rapportés lors de l’arrêt des benzodiazépines.
(2) Ce calendrier d’arrêt est destiné à mieux faire comprendre au patient les modalités d’arrêt des benzodiazépines, noter les données indispensables au suivi du protocole (notamment les symptômes inhabituels), mieux informer le médecin sur la démarche d’arrêt des benzodiazépines du patient.
(3) Consignes au patient pour remplir l’agenda : chaque matin, en fonction des souvenirs de la nuit (inutile de regarder sa montre pendant la nuit, ce qui perturberait davantage le sommeil ; l’agenda n’est pas un outil de précision) ; chaque soir, pour relater l’état du patient pendant la journée. - Tenir l’agenda sur l’ensemble de la période d’observation, de façon à obtenir un aperçu des variations de sommeil au fil du temps.