« La déprescription nécessite négociation et accompagnement pour obtenir l’adhésion du patient »

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Malgré une prise de conscience des professionnels de santé, la France reste en 2e position en Europe en matière de consommation de médicaments par habitant (1). Le rôle du médecin est fondamental pour lutter contre cette surconsommation, qu’il s’agisse de limiter la prescription initiale de certaines classes thérapeutiques, de favoriser l’adhésion des patients aux prescriptions non médicamenteuses ou de réévaluer régulièrement les ordonnances.

Afin de soutenir les médecins dans cet enjeu de santé publique inscrit dans la nouvelle convention médicale, une campagne de sensibilisation vers le grand public sera déployée en novembre 2024 pour lutter contre l’idée reçue selon laquelle « une consultation = une prescription de médicament ».

Entretien avec le docteur Corentin Lacroix, médecin généraliste en Loire-Atlantique, qui témoigne sur sa pratique en matière de prescription et de déprescription de médicaments.

Observez-vous une surconsommation de médicaments dans votre pratique et, si oui, à quoi est-elle majoritairement due selon vous ?

Dr Lacroix. En France, il y a cette symbolique de l’ordonnance. Le patient va chez le médecin pour se faire soigner, et ça passe par une ordonnance ! Très peu de consultations se terminent sans la prescription de médicaments. Il peut même y avoir, dans certaines situations, une pression de la part des patients. Par exemple pour les antibiotiques, il y a encore beaucoup de demandes aux médecins, ainsi que de l’automédication, même si les patients comprennent mieux aujourd’hui les risques associés et le fait qu’ils ne doivent être prescrits que dans certaines situations précises. Certains patients prennent les restes d’antibiotiques d’une ancienne prescription, se sentent mieux, et viennent consulter en demandant une ordonnance pour continuer… et là je ne sais plus si ce sont les antibiotiques qui ont amélioré leur état, auquel cas il faudrait les prolonger, ou si c’est simplement le temps. Dans ma pratique, la conséquence, je la vois vraiment depuis quelques années sur les pénuries de médicaments. Avant, c’était très rare, mais maintenant je précise presque systématiquement sur l’ordonnance plusieurs alternatives pour le pharmacien en cas d’indisponibilité du traitement prescrit.

Qu’avez-vous mis en place dans votre pratique pour limiter cette surconsommation médicamenteuse ?

Dr Lacroix. En tant que médecin, il est toujours plus facile de conclure une consultation par une ordonnance. Dans un premier temps, j’essaie de moins prescrire, par exemple chez les patients qui ont l’habitude de prendre beaucoup de médicaments pour traiter un rhume. J’adapte mon ordonnance à chaque situation pour que le patient soit soulagé, pour éviter qu’il revienne et pour ne pas perdre sa confiance.

Ensuite, je délivre des ordonnances de conseils, d’activité physique, d’information, avec parfois des vidéos. Ça ne marche pas toujours du premier coup auprès des patients, qui peuvent être réticents au départ. C’est une habitude à prendre, et cela n’empêche pas de revenir à une solution médicamenteuse si besoin. Les ordonnances « conditionnelles » peuvent donc être un bon compromis, notamment en ce qui concerne la prescription d’antibiotiques.

J’essaie également d’autonomiser et de responsabiliser au maximum mes patients, notamment dans le cadre de la prescription d’antalgiques. Je leur fais une prescription avec des dosages plus ou moins forts, et c’est à eux d’adapter leurs prises en fonction de l’intensité de leur douleur et des effets indésirables ressentis. Généralement, cette démarche fonctionne bien car les patients comprennent les bénéfices et les risques associés au traitement.

Concernant la déprescription, pour quelles classes thérapeutiques êtes-vous particulièrement vigilant, et comment vous y prenez-vous ?

Dr Lacroix. Les situations les plus courantes concernent les somnifères, mais cela reste difficile chez certains patients, notamment les personnes âgées qui les prennent depuis longtemps. Je propose systématiquement une déprescription et j’adapte mes arguments en fonction du patient. Souvent la réponse est négative, alors je propose de réduire le nombre de prises, en supprimant une prise par semaine par exemple. On augmente ensuite progressivement les jours sans prise et le patient finit par arrêter totalement le traitement.

Quand j’identifie une situation qui nécessite une déprescription, j’explique au patient que son traitement était utile et justifié à un temps donné mais qu’il faudrait l’arrêter maintenant afin d’éviter des problèmes par la suite. Souvent, je parle des effets secondaires et des risques associés aux traitements quand ils sont pris sur le long terme. Ce sont des arguments que les patients comprennent. La déprescription prend du temps : elle relève vraiment de la négociation, de l’accompagnement et de la pédagogie pour obtenir l’adhésion du patient.

Pour aller plus loin, consulter la rubrique « Prévention du risque de iatrogénie médicamenteuse chez les 65 ans et plus : boîte à outils ».

(1) Source : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) - Comptes de la santé 2023.