30 propositions de l’Assurance Maladie pour améliorer le système de santé et maîtriser les dépenses
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- Études
Le rapport annuel sur l'évolution des Charges et Produits de l'Assurance Maladie pour 2025 a été approuvé le 18 juillet 2024 par le Conseil de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie (Cnam). Ce document analyse les tendances de fond ainsi que les besoins à court terme du système de santé. Il présente 30 propositions pour améliorer la qualité et l’efficience de celui-ci, avec l’ambition d’éclairer les politiques de santé publique et de contribuer à l’élaboration du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
L’Assurance Maladie formule cette année de nouvelles mesures fortes d’économies, face à un déficit qui pourrait s’élever à 11,4 milliards d'euros en 2024, malgré un net redressement en 2023.
Parmi les leviers d’action, elle appelle à renforcer les politiques de prévention, notamment face aux maladies chroniques, à poursuivre l'optimisation des parcours de soins, à encourager le recours aux innovations, et à gagner en sobriété à tous les niveaux, notamment en réduisant le gaspillage et en assurant le juste soin. La lutte contre les fraudes et les abus reste également une priorité majeure.
L'objectif : atteindre 1,56 milliard d'économies en 2025, grâce à des mesures efficaces d'organisation, tout en garantissant l'accès aux droits et aux soins.
La nouvelle convention médicale signée le 4 juin dernier (espace médecin), porteuse de nettes améliorations en termes de pertinence et qualité des soins, sera déterminante pour concrétiser cette feuille de route.
Découvrir la présentation en vidéo du rapport par Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam.
Un diagnostic annuel du système de santé et des dépenses pour piloter l'action
Pour formuler les 30 propositions, le rapport dresse un panorama global du système de santé français.
Sur le volet des soins, la cartographie médicalisée des dépenses (1) documente, à partir des données de 2022, la concentration croissante des dépenses sur la prise en charge des maladies chroniques. Un assuré sur trois est concerné, soit 24 millions de personnes (+ 1,5 million depuis 2015) et près de 60 % des dépenses totales remboursées de l'Assurance Maladie y sont consacrées (112 milliards d'euros sur 190).
Les données sur l'offre des soins en ville témoignent d'une évolution démographique contrastée des professionnels de santé (en 5 ans, baisse du nombre de médecins généralistes, hausse du nombre d'infirmiers). Elles révèlent également une dynamique soutenue des prescriptions des médecins libéraux (58,2 milliards d'euros en 2023, soit + 11 % depuis 2019), avec 3 postes principaux : médicaments, indemnités journalières et dispositifs médicaux.
Enfin, le tableau de bord de 17 indicateurs de santé publique constitue un point de repère sur les besoins en matière de prévention et d'accompagnement des maladies chroniques.
Les propositions clés
Les 30 propositions formulées sont porteuses de transformation de notre système de santé, tant pour améliorer la prise en charge des patients que pour maîtriser les dépenses et atteindre l'objectif ambitieux d'économies de 1,56 milliard d'euros. Les principaux champs d'action sont la prise en charge des pathologies chroniques (80 millions d'euros), la lutte contre les fraudes et les abus (420 millions) et surtout la pertinence et l'efficience de soins (1,06 milliard).
Parmi les propositions clés, on peut citer :
- la création de formulaires infalsifiables d'arrêt de travail et la mise en place d'un nouveau service attentionné « SOS IJ » pour aider les médecins dans leurs prescriptions d'arrêt de travail dans des situations complexes ;
- la chasse au gaspillage des produits de santé en lien avec les professionnels de santé concernés (médecin, infirmiers, pharmaciens), rendant nécessaire la mise en place d'un nouveau cadre de prescription ;
- des actions pour mieux prévenir, évaluer et soigner la douleur chronique ;
- des nouveautés changeant le quotidien de nombreux assurés, comme le soutien à la généralisation du service en ligne « Allo Ortho », pour aider les parents à mieux faire face aux besoins d'orthophonie des enfants.
Le rapport traite également de nouveaux sujets, comme la décarbonation du système de santé et la santé environnementale, avec comme objectif de développer un outil d'évaluation de l’impact carbone du médicament, et une action de sensibilisation aux dangers des perturbateurs endocriniens dès la fin d'année.
Autre trait marquant, la lutte contre les inégalités sociales en santé avec une approche spécifique de la santé des femmes, mais aussi des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance, dont l’état de santé est sensiblement plus dégradé à l’âge adulte.
Focus sur certaines pathologies
L'Assurance Maladie propose un focus sur certaines pathologies, avec des propositions visant à améliorer le dépistage précoce et la prévention.
Sur les maladies cardiovasculaires et associées (MCVA) (insuffisance cardiaque, diabète, maladie rénale chronique, maladie coronarienne et BPCO), elle appelle notamment à systématiser le dépistage annuel des personnes à risque et à déployer un parcours de soins spécifique « polypathologies chroniques » portant sur les MCVA.
Sur les cancers, la priorité est d'augmenter la participation au dépistage organisé, qui reste en France bien en-deçà des objectifs européens. Cela passe notamment par des prises de contact en direct avec les publics éloignés du système de santé, la mobilisation des sages-femmes et des infirmiers pour remettre le kit de dépistage du cancer colorectal et pour réaliser les frottis, mais aussi le développement d'une offre de proximité partout sur le territoire avec les « mammobus ».
Focus sur certaines populations
Face à la dégradation de la santé mentale des 12-25 ans depuis la crise sanitaire, qui se traduit par une augmentation préoccupante de la consommation de psychotropes (+ 60 % de jeunes sous antidépresseurs entre 2019 et 2023), le rapport préconise la mise en place d'une forme de « conférence de consensus » avec les différents acteurs clés pour construire un plan ambitieux dans ce domaine.
La santé des femmes constitue un autre focus majeur. Le rapport propose d'organiser un dépistage systématique du risque cardiovasculaire pour les femmes ménopausées et d'améliorer le dépistage et la prise en charge de l’endométriose. Enfin, l'Assurance Maladie propose de soutenir le développement des Maisons des femmes, dédiées à l'accueil et à la prise en charge des femmes victimes de violences.
Focus sur l'organisation des soins
En matière d'organisation des soins, le rapport propose de renforcer la capacité de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), à laquelle près de 50 % des médecins généralistes libéraux participent déjà.
En parallèle, elle appelle à mieux encadrer le développement des centres de soins non programmés et de l'activité non régulée qui ne s'intègrent pas pleinement dans les dispositifs de régulation des urgences.
Cette nouvelle convention médicale signée en juin constitue un levier très important pour améliorer l'accès aux soins et leur pertinence, grâce aux engagements réciproques actés avec les professionnels de santé. L'Assurance Maladie confirme ainsi le lancement des deux observatoires chargés respectivement de l’accès aux soins et de la pertinence prévus dans la convention pour piloter la réalisation de ces engagements.
Autre mesure forte, l'Assurance Maladie préconise aussi de ne plus rembourser les prescriptions des médecins non conventionnés avec elle.
Focus sur plusieurs secteurs
Le niveau de remboursements des transports sanitaires est particulièrement élevé : 6,3 milliards en 2023, soit + 9 % en un an. L'Assurance Maladie propose d’amplifier le recours au transport partagé, qui fait ses preuves dans d'autres pays, et de déployer massivement des plateformes de commande des transports dans les hôpitaux.
Le rapport souligne par ailleurs la très forte disponibilité en France des médicaments innovants (2), notamment grâce au dispositif d'autorisation d’accès précoce. Il montre aussi une forte dynamique des dépenses des médicaments indiqués dans le cadre de la prise en charge des maladies rares.
Sur la santé numérique, l'Assurance Maladie propose de lancer des assises de la téléconsultation en concertation avec l'ensemble des acteurs, afin d'asseoir le rôle de ce mode de prise en charge et de l’encadrer.
Enfin, dans un contexte de fort développement des solutions d’intelligence artificielle (IA) en santé, le rapport pointe un manque d’évaluation des dispositifs médicaux numériques à usage professionnel, et plaide pour une expérimentation, encadrée avec la Haute Autorité de santé, d’un outil IA d’assistance à l’interprétation d’électrocardiogramme pour les médecins généralistes.
Consulter le rapport Charges et Produits pour 2025 (PDF) et voir aussi sa synthèse (PDF).
(1) Les données de ces cartographies sont accessibles à tous en open data sur la plateforme Data ameli.
(2) Troisième observatoire européen des délais d’accès aux médicaments en collaboration avec la Haute Autorité de santé et son homologue dans les autres pays européens : Allemagne, Angleterre, Italie et France.
L’impact des actions de l’Assurance Maladie sur l’Ondam 2025
Pour continuer à rétablir l’équilibre financier de l’Assurance Maladie après la crise sanitaire, le programme de gestion du risque porté par l’Assurance Maladie devrait générer un impact financier estimé à 1,56 milliard d’euros pour l’année 2024.
- Actions d’amélioration de l’efficience et de la pertinence des soins : 1 060 millions d’euros - 68 % du total des économies
- actes : 150
- médicaments : 425
- produits et prestations : 70
- transport : 110
- biologie : 100
- prestations en espèces : 205
- Contrôles et lutte contre les fraudes et les abus : 420 millions d’euros - près de 27 % du total des économies
- actes : 190
- médicaments : 35
- produits et prestations : 40
- transport : 50
- prestations en espèces : 75
- autres : 30
- Approche structurelle centrée sur les parcours pathologies et populationnels : 80 millions d’euros - 5 % du total des économies
Focus sur 4 propositions de l’Assurance Maladie
Dépister rapidement et déployer un parcours autour des maladies cardiovasculaires et associées (MCVA)
Quelques constats
- L’hypertension artérielle (HTA) (prévalence estimée à 30 % des adultes) est le 2e facteur de risque le plus important qui mène aux maladies cardiovasculaires.
- 50 % des maladies rénales chroniques sont dues au diabète et à l’HTA et 29 % des personnes vivant avec un syndrome coronarien chronique ont un diabète.
- Plus de 1 patient sur 5 atteint de maladie rénale chronique (MRC) n’a pas de dépistage pour diagnostiquer d’autres maladies cardiovasculaires.
- 28 % des diabétiques nouvellement diagnostiqués en 2021 ont été repérés à un stade de complications nécessitant une hospitalisation.
Axes de travail de l'Assurance Maladie
- Systématiser le dépistage des autres pathologies associées chez les patients atteints des pathologies cardiovasculaires et associées (insuffisance cardiaque, diabète, MRC, maladie coronarienne et BPCO)
- Dans les suites de la convention médicale, améliorer la capacité des médecins traitants à suivre le parcours de prévention de leurs patients (vaccinations, dépistages et examens de suivi des patients atteints de pathologies chroniques)
- Mettre à la disposition des soignants un outil de diagnostic territorial de la prévalence et de la prise en charge des MCVA
Mieux prévenir, évaluer et soigner la douleur chronique et lutter contre l’addiction aux opioïdes
Quelques constats
- La douleur représente les 2/3 des consultations médicales et le 1er motif de consultation aux urgences (1).
- 51 % des prescriptions de fentanyl à action rapide sont hors AMM.
- La mauvaise utilisation du paracétamol est la 1re cause de greffe hépatique d’origine médicamenteuse en France.
- Hausse de 24 % des nouvelles prises en charge de traitements psychotropes en 2022 par rapport à 2021 (hors maladies psychiatriques).
Axes de travail de l'Assurance Maladie
- Lutter contre la banalisation des médicaments de palier 2 et de palier 3 : partage des recommandations sanitaires de prescription de ces produits auprès des médecins, mise en place d’une ordonnance sécurisée pour le tramadol…
- Renforcer l’accompagnement des médecins généralistes en matière de prise en charge de la douleur chronique (mise à disposition d’un questionnaire d’évaluation de la douleur, rappel des alternatives aux traitements médicamenteux, adressage vers des services spécialisés)
Améliorer l’accès aux soins des patients, notamment face aux urgences ressenties
Quelques constats
- Près d’un patient sur deux se présente aux urgences en l’absence d’une offre ambulatoire disponible le jour même ou le lendemain.
- Un tiers des patients avec des besoins de soins urgents sont des enfants de moins de 16 ans.
- Côté permanence des soins ambulatoires (PDSA), pour des soins non programmés aux horaires de fermeture des cabinets :
- 95 % des territoires sont couverts ;
- 48 % des médecins généralistes libéraux y participent, en particulier dans les territoires ruraux, défavorisés et moins bien dotés en médecins.
Axes de travail de l'Assurance Maladie
- Stabiliser le système de gardes le soir et le week-end et améliorer la régulation des urgences en journée afin de garantir un accès aux soins 24h/24, 7j/7, partout sur le territoire
- Rendre publiques, en temps réel, les informations sur les lieux de soins ouverts et leur fréquentation
Renouveler et diffuser les outils permettant d’accompagner la décision et la prescription des professionnels de santé
Quelques constats
- Sur les 6,8 millions de dosage de la vitamine D en 2022, dont 60 % prescrits par des médecins généralistes, seuls 9 % correspondent aux 6 situations recommandées par la HAS.
- Côté transports sanitaires, accroissement de la demande :
- 6,4 millions de patients transportés en 2023, en augmentation de 13,8 % entre 2016 et 2023 ;
- 9 points de hausse des remboursements par rapport à 2022, qui atteignent en 2023 un montant total historique de 6,3 milliards d’euros.
Axes de travail de l'Assurance Maladie
- Poursuivre l’accompagnement à la prescription et l’étendre à de nouveaux postes de dépenses de soins, notamment les transports
- Établir une feuille de route pluriannuelle de maîtrise des dépenses de transports de patients garantissant une prise en charge de qualité et un maillage territorial suffisant
- Généraliser les plateformes de commande de transport de patients dans les établissements
- Étendre les ordonnances sécurisées pour contenir la dispensation de certains médicaments spécifiques, à forts enjeux de santé publique
- Promouvoir et faciliter l’usage des outils numériques visant à renforcer la pertinence et l’efficience des prescriptions (logiciel d’aide à la prescription (LAP) et système d’aide à la décision médicale (SADM)) notamment en lien avec les 15 programmes d’actions définis avec les représentants des médecins dans la convention médicale
Source : Rapport « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses - Propositions de l’Assurance Maladie pour 2025 » sauf mention contraire.
(1) Société française d’évaluation et de traitement de la douleur (SFETD), Livre blanc de la douleur, 2017 : État des lieux et propositions pour un système de santé éthique, moderne et citoyen ; Haute Autorité de santé (HAS) : Recommander les bonnes pratiques, guide, parcours de santé d’une personne présentant une douleur chronique, janvier 2023.