Agir contre l’antibiorésistance en odontologie

En France les antibiotiques prescrits par les chirurgiens-dentistes ne cessent d’augmenter : de 8 à 10 % en 2016 à plus de 12 % en 2021. Plusieurs études internationales révèlent que 60 % des prescriptions mondiales des chirurgiens-dentistes sont soit inutiles, soit inadaptées. Des conseils et des outils existent. Les antibiotiques, bien soigner c’est d’abord bien les utiliser.
Infographie sur les bonnes pratiques en matière de prescription d'antibiotiques en odontologie (description complète ci-après)

Infographie l’essentiel : Agir contre l’antibiorésistance en odontologie

Comprendre

  • L’antibiorésistance est la capacité d’une infection bactérienne à résister aux effets des antibiotiques.
  • Il s’agit d’une préoccupation de santé publique.

Prescrire

Uniquement face à une infection bactérienne.

Associer systématiquement au geste étiologique.

Prescrire une monothérapie en 1re intention (amoxicilline).

Réévaluer après 48 heures.

Optimiser

  • Choisir la molécule recommandée :
    • à la bonne durée ;
    • à la posologie adéquate.

Accompagner

  • Cette approche concerne tous les profils patients.
  • Vigilance à la bonne observance des traitements.

Les chiffres-clés de la prescription antibiotique des chirurgiens-dentistes en France

 

Top 8 des molécules les plus prescrites par les chirurgiens-dentistes en 2021 en France
Amoxicilline 56 %
Spiramycine en association
avec autres antibactériens
22 %
Amoxicilline et inhibiteur d'enzyme 12 %
Metronidazole 4 %
Azithromycine 3 %
Clindamycine 2 %
Pristinamycine 0,7 %
Spiramycine
0,3 %

Quels enseignements en tirer ?

La molécule la plus prescrite par les chirurgiens-dentistes en France est l’amoxicilline (56 % des consommants).

Le recours à une bithérapie est fréquent, l’association spiramycine/métronidazole arrive en 2e position dans le top 8 des molécules les plus prescrites. L’association amoxicilline/acide clavulanique arrive, quant à elle, en 3e position.
Ces 2 associations représentent 34 % des prescriptions du top 8 des chirurgiens-dentistes en 2021, alors qu’elles ne sont pas recommandées en première intention.

Dans le détail, l’association spiramycine/métronidazole prête à l’emploi, actuellement commercialisée, ne correspond pas aux dosages recommandés par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour chacune des molécules. De plus, elle génère plus de résistance que l’amoxicilline seule. La prescription de l’association spiramycine/métronidazole a généré une dépense de près de 12 millions d’euros en France en 2021.

L’association amoxicilline/acide clavulanique est limitée aux prescriptions de seconde intention (sauf en cas des sinusites maxillaires aiguës d’origine dentaire). La prescription de ces molécules a généré une dépense de plus de 7 millions d’euros en 2021.

La pristinamycine, en 7e position dans le top 8 des molécules les plus prescrites par les chirurgiens-dentistes, n’a plus qu’une seule indication en odontologie. Elle est recommandée en seconde intention pour traiter les sinusites maxillaires aiguës d’origine dentaire. Cette prescription a généré une dépense de près de 2 millions d’euros en 2021.

18 % du montant global des antibiotiques prescrits par les chirurgiens-dentistes en France en 2021 correspondent à des molécules peu recommandées en odontologie (doxycycline, pristinamycine, association spiramycine/métronidazole). Ce montant s’élève à 14 millions d’euros en 2021.

En France, 5 500 décès sont liés à une infection résistante aux antibiotiques.

Les chirurgiens-dentistes sont les 2e plus gros prescripteurs, derrière les médecins. Ils sont à l’origine de 13 % des prescriptions d’antibiotiques. La molécule prescrite en n°1 est l’amoxicilline (56 %), ce qui correspond à une bonne pratique. Par contre 34 % des prescriptions de 1re intention correspondent à une bithérapie, alors qu’une monothérapie est recommandée.

1/5e des antibiotiques prescrits par les chirurgiens-dentistes sont une molécule non recommandée par l’ANSM en odontologie. 60 % des prescriptions d’antibiotiques ne sont pas pertinentes selon une étude internationale (1).

Infographie sur les chiffres de la prescription des antibiotiques en odontologie (description complète ci-après)

Prescription d’antibiotiques en odontologie

  • En médecine de ville, le chirurgien-dentiste est le 2e plus gros prescripteur derrière le médecin.
  • Les chirurgiens-dentistes sont à l’origine de 13 % de prescriptions d’antibiotiques.
  • 5 500 décès par an en France sont imputables à une antibioresistance.
  • La molécule la plus prescrite par les chirurgiens-dentistes est l’amoxicciline : 56 % du nombre total de prescription.
  • 34 % des prescriptions des chirurgiens-dentistes est une bithérapie en 1re intention.
  • En odontologie, 1/5e des antibiotiques prescrits sont une molécule non recommandée en 1re intention.
  • 60 % des prescriptions d’antibiotiques ne sont pas pertinentes.

Qu’est-ce que l’antibiorésistance ?

Au début de l’année 2022, le ministère de la Santé et de la prévention a diffusé une Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance.

Cette stratégie porte 3 objectifs principaux.

  1. Prévenir les infections courantes, comme les bronchites, les gastro entérites, grâce à des gestes quotidiens et à la vaccination.
  2. Réduire le risque d’infections associées aux soins, notamment les infections nosocomiales.
  3. Préserver l’efficacité des antibiotiques.

Parmi les 42 actions prévues, 10 concernent les chirurgiens-dentistes.

Pour pouvoir expliquer à vos patients ce qu’est l’antibiorésistance, vous avez à votre disposition 2 vidéos du ministère de la Santé et de la prévention :

  • une interview du Pr Céline Pulcini, cheffe de la mission ministérielle « Prévention des infections et de l'antibiorésistance », intitulée « L’antibiorésistance c’est quoi ? » ;
  • une interview du Pr Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, intitulée « Quels sont les bons gestes pour réduire l'antibiorésistance ? ».

Comment agir en tant que prescripteur ?

10 conseils pratiques destinés aux chirurgiens-dentistes

L’antibiothérapie

1. Prescrire une antibiothérapie face à une infection avérée.

2. Une infection chronique ne doit pas être traitée à coup de cures d’antibiotiques itératives.

3. Le geste étiologique prime et doit être associé à la prescription antibiotique dans la mesure du possible.

4. Devant une infection en odontologie, dans la majorité des cas, une monothérapie suffit. Une réévaluation peut être réalisée à 48 heures.

5. L’amoxicilline est la molécule de référence en odontologie.

6. En cas d’allergies aux bêta-lactamines, la clindamycine est la molécule à choisir.

7. La durée de traitement est de 7 jours (sauf pour l’azithromycine : 3 jours).

8. Une douleur intense ne signifie pas systématiquement une infection : penser inflammation !

L’antibioprophylaxie

9. Chez les patients immunodéprimés (diabète mal équilibré, insuffisance rénale chronique, traitement immuno-suppresseur/modulateur…), une antibioprophylaxie en dose unique est nécessaire avant les actes bactériémiques.

10. La molécule recommandée pour l’antibioprophylaxie en odontologie est l’amoxicilline, à raison de 2 grammes en une prise dans l’heure qui précède le geste bactériémique.

Télécharger les 10 conseils pratiques sur l'antibiothéraphie (PDF).

Connaître ses pratiques pour mieux agir

Afin de pouvoir analyser ses prescriptions, chaque chirurgien-dentiste sera destinataire par mail fin 2022 de son profil de prescription.

Les données de son activité présentées sont :

  • le pourcentage de patients ayant eu une prescription d’antibiotiques sur une année ;
  • la molécule la plus prescrite et à quel pourcentage ;
  • le top 6 des molécules les plus prescrites par le praticien ;
  • 3 indicateurs de pertinence de prescription avec pour chacun un objectif individuel à atteindre :
    • ratio amoxicilline / amoxicilline acide clavulanique ;
    • pourcentage des molécules peu recommandées en odontologie (doxycycline, pristinamycine,  spiramycine / métronidazole) ;
    • pourcentage des molécules non recommandées en odontologie par l’ANSM.

Télécharger le profil type d'un chirurgien-dentiste prescripteur d'antibiotiques en 2021 (PDF).

Pour aller plus loin, consulter les recommandations de l’ANSM sur les prescriptions en odontologie et stomatologie.

Conduite à tenir face à une infection dentaire en médecine générale

Une démarche globale est menée pour que tous les prescripteurs puissent analyser leur pratique et adopter les bons gestes pour préserver l’efficacité des antibiotiques.

Un médecin généraliste peut être confronté dans sa pratique quotidienne à la prise en charge d’une infection dentaire. Un mémo synthétique a été conçu pour accompagner les médecins face à cette situation, et leur permettre d’appliquer les recommandations de l’ANSM.

Pour leur parfaite information, les chirurgiens-dentistes peuvent, s'ils le souhaitent, consulter ce mémo disponible en téléchargement (PDF).

Pour votre pratique : 2 vidéos d'experts

Les bons réflexes en odontologie pour lutter contre l'antibiorésistance
(vidéo du Dr Julie Guillet)

Le Dr Julie Guillet est chirurgien-dentiste, maître de conférences des universités-praticien hospitalier (MCU-PH) en chirurgie orale à la faculté d’odontologie de Nancy et exerce au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nancy.

Bonjour, je suis le docteur Julie Guillet, je suis MCU-PH en chirurgie orale à la faculté d’odontologie de Nancy et j’exerce au CHU de Nancy.

L’antibiorésistance est un sujet préoccupant. En tant que chirurgien-dentiste avez-vous un rôle à jouer dans cette lutte ?

Oui, on a un rôle à jouer parce-que la lutte contre l’antibiorésistance passe par le bon usage des antibiotiques. En France les chirurgiens-dentistes il y a encore 5-6 ans étaient responsables de peut-être 8 à 10% de l’ensemble des prescriptions antibiotiques. Mais en 2021 les chiffres ont montrés qu’on est responsable de plus de 12% de ces prescriptions donc ça veut bien dire qu’on a notre responsabilité à la fois individuellement et aussi collectivement.

Comment l’appliquez-vous à l’échelle du cabinet ?

Alors pour le cabinet moi je vois deux volets. Il y a le volet prévention et le volet traitement. Dans la prévention, j’entends prévention des infections liées aux soins. Ça c’est quelque chose de capital. Alors ça passe par l’hygiène globale de base du cabinet que tous les praticiens connaissent : la désinfection des surfaces, l’utilisation du matériel à usage unique, la stérilisation etc. Il y a aussi le respect des protocoles de soins : Mettre en place le champ opératoire, la digue, pour tous les traitements endodontiques ou tous les retraitements c’est indispensable. Et puis moi c’est quelque chose que je fais systématiquement en chirurgie orale mais qui devrait être fait avant chaque geste de soins, c’est de faire faire à son patient un bain de bouche antiseptique. Pourquoi on fait ça ? Parce qu’un simple bain de bouche à la Chlorhexidine ça va diminuer considérablement la charge bactérienne dans la cavité buccale et donc ça va diminuer fortement le risque d’infection post-opératoire lié à notre geste.

En ce qui concerne le volet du traitement, c’est évident qu’un patient qui présente une infection, on va le traiter. Mais on ne doit pas le traiter uniquement avec des antibiotiques. Dans notre sphère c’est rarissime de pouvoir venir à bout d’une infection en prescrivant uniquement des antibios. On doit impérativement faire un geste associé. Alors, quand c’est une infection qui est en cours de collection, on n’a pas d’autres choix que mettre en place des antibiotiques et puis soit si on la possibilité, faire un geste tout de suite, par exemple, trépaner une dent qui est nécrosée ou extraire une dent qui est non conservable. Mais quand on a un abcès et que c’est collecté, parfois on ne peut pas faire le geste qui traiterait en fait l’infection. Donc ce qui est indispensable c’est de drainer et ça, ça ne prend pas longtemps. On met en place un coup de bistouri pour évacuer, drainer le pus. Ça va soulager la douleur du patient. Ça ne dispense pas, bien évidemment, de lui faire sa prescription d’antibiotiques puisqu’on est en présence d’une infection avérée. Et dans ce cas on doit prescrire ce traitement.

Les antibiotiques à prescrire en première intention c’est une monothérapie et donc dans notre sphère c’est l’amoxicilline 2 à 3g par 24h selon le poids du patient. Mais on ne prescrit pas d’emblée une bithérapie.

Pas toujours simple face à la pression des patients. Comment faites-vous ?

Les patients ce n’est pas toujours facile de les gérer. Surtout je sais ce que c’est, en tant que clinicienne, quand on enchaîne et qu’on a un patient toutes les 15 ou 30 minutes ce n’est pas forcément facile de rajouter un patient à son planning, ça c’est la première chose. Mais un petit geste en général, ce n’est pas quelque chose qui prend du temps donc c’est faisable. L’autre volet auquel il faut penser c’est effectivement c’est la pression du patient qui va parfois comme il a mal, il est persuadé qu’il est infecté et donc il veut absolument une ordonnance d’antibiotiques. Si on sait qu’on est devant une pathologie inflammatoire par exemple une pulpite, c’est à nous d’expliquer à notre patient que là son traitement ne relève pas d’un traitement antibiotique puisqu’il n’est pas infecté.

Et j’en profite pour rappeler que les antibiotiques, bien soigner c’est d’abord bien les utiliser.

Se former pour lutter contre l'antibiorésistance
(vidéo du Dr Jacques Wemaere)

Le Dr Jacques Wemaere est chirurgien-dentiste libéral et président Conseil national professionnel des chirurgiens-dentistes (CNP-CD).

Bonjour, je suis le chirurgien-dentiste Jacques Wemaere depuis 15 ans à Cenon en banlieue Bordelaise et président du CNP-CD depuis quelques mois.

Quels sont les objectifs et missions du CNP-CD ?

Le CNP-CD c’est le Conseil National Professionnel des Chirurgiens-Dentistes. Il existe autant de CNP que de professions de santé. Nous avons été créés en 2015, c’est une association de loi 1901. Notre objectif et notre mission principale c’est de définir les critères d’évaluation des actions de DPC, notamment en partenariat avec l’ANDPC. Et de fixer tous les 3 ans les orientations prioritaires du DPC qui vont influer sur notre formation continue. Dans les membres du CNP-CD vous avez des membres fondateurs et des membres adhérents. Les membres fondateurs sont par exemple l’Académie nationale de chirurgie dentaire, l’Association dentaire française, les Chirurgiens-dentistes de France, la Fédération des syndicats dentaires libéraux et l’Union dentaire.

Comment pouvez-vous aider la profession à lutter contre l’antibiorésistance ?

Je dirais qu’il y a deux grandes choses.
La première c’est une acculturation à la question de l’antibiorésistance et sensibiliser un maximum de confrères et consœurs à la question de la lutte contre l’antibiorésistance.

Et la deuxième évidemment, c’est en faisant en sorte que vous ayez le plus possible de formations qui soient en lien avec cette thématique, que les organismes de formation vous proposent dès l’année prochaine des formations, aussi bien sur la lutte contre l’antibiorésistance , que sur la prescription médicamenteuse, notamment des antibiotiques.

Vous avez été saisi par le ministère en charge de la santé pour outiller les chirurgiens-dentistes. De quels outils s’agit-il ?

Alors effectivement nous avons été saisis l’année dernière par la DGS pour créer des outils à destination des chirurgiens-dentistes et des cabinets dentaires.

3 outils

Un premier outil qui est téléchargeable et consultable sur le site de l’Association dentaire Française, c’est une newsletter qui va vous permettre de vous acculturer à la question et de prendre conscience que c’est quelque chose de complexe, avec notamment le contexte de One Health (une seule santé)

Vous avez aussi une affiche téléchargeable qui vous permet de montrer à vos patients que vous lutter aussi contre l’antibiorésistance et que vous pourrez dans certains cas prescrire des antibiotiques, et que surtout dans certains cas vous n’en prescrirez pas.

Et enfin un guide interactif qui vous permet avec plusieurs entrées de savoir si vous devez ou non prescrire des antibiotiques de manière prophylactique ou curative, en fonction du type de patient que vous soignez et du type d’actes que vous réalisez.

En un mot : formons nous, formons nous à cette question, formons nous à la prescription d’antibiotiques, formons nous à la lutte contre l’antibiorésistance. Et faisons en sorte que tous ensemble nous participions à la lutte contre l’antibiorésistance.

Les outils proposés par le CNP-CD et l’ADF :

(1) Source : Think before you prescribe: how dentistry contributes to antibiotic resistance. Sukumar S, Martin FE, Hughes TE, Adler CJ.Aust Dent J. 2020 Mar;65(1):21-29. doi: 10.1111/adj.12727. Epub 2019 Nov 6.PMID: 31613388 Review.

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